Métier : bourreau. 1733 à 1759

Métier : bourreau. 1733 à 1759

Lors de la première partie de cet article consacré au métier de bourreau, encore nommé maître des hautes œuvres, nous avons relaté l’histoire de condamnés ayant été obligés d’accepter la charge de bourreau s’ils voulaient conserver la vie. Notons que, déjà, demeurer en prison avant une sentence était une option très difficilement acceptable, surtout en hiver où les prisons n’étaient pas chauffées. Il est d’ailleurs quelquefois arrivé qu’il faille couper les pieds de prisonniers qui avaient attrapé la gangrène après que leurs membres eurent gelé. C’est ce que rapporte monsieur de Denonville au ministre de la Marine, Jean-Baptiste Colbert, le 8 mai 1686 (Lachance, 1966).

Mais, voyons la suite de l’histoire de nos bourreaux en Nouvelle-France.

Un procès retentissant

Le bourreau Mathieu Léveillé dit Malgein ne s’attend peut-être pas à ce qui va lui incomber quand il prend ses fonctions en 1733. En effet, l’année suivante a lieu un procès qui fera grand bruit et qui s’inscrira comme étant l’illustration du combat des Noirs.

Marie-Josèphe dite Angélique, esclave noire née au Portugal vers 1705-1710, est accusée d’avoir mis le feu à la ville de Montréal, incendie durant lequel une quarantaine d’édifices, dont l’église et le couvent de l’Hôtel-Dieu, est brulée. Angélique est condamnée à mort après avoir subi de multiples tortures. Nous ne raconterons pas son histoire et son procès ici, car cela mérite un article complet.

Revenons au bourreau Malgein. Celui-ci est un esclave noir de Martinique appartenant au roi. Pour la petite histoire, l’État avait décidé de lui acheter une épouse aux Antilles. Les choses s’éternisant, Angélique-Denise n’est arrivée à Québec qu’en 1742, soit 8 ans après la prise de décision. Malheureusement, pendant ce temps, le bourreau est tombé malade. Il meurt en 1743 toujours célibataire et Angélique-Denise est dès lors revendue.

Donc, Malgein passe pour quelqu’un de consciencieux à la besogne. Il a d’ailleurs eu l’expérience un peu particulière d’exécuter la sentence du carcan à 3 personnes en même temps. François Morisset, Nicolas Content dit Lafranchise et Élisabeth Content femme d’Antoine Marchand ont été accusés de vol de biens appartenant au bourreau. Ils ont été exposés sur la place publique de la basse ville (Québec) en décembre 1740.

Des bourreaux qui demandent à l'être

Après Malgein, le poste revient à un certain Sainfront dont on ne sait pas grand-chose sauf qu’il meurt subitement le 28 décembre 1750.

En août 1751, c’est le détenu Jean Corolaire (Corollaire, Corolère) qui demande à avoir la charge. Celui-ci, ancien tambour de la compagnie des Bombardiers, avait été condamné à un an d’emprisonnement pour cause de duel avec un soldat fugitif nommé Coffre. Durant sa détention, de janvier à juin 1751, l’homme fait plus ample connaissance avec sa voisine de cellule, Françoise Laurent, fille du tambour-major de Montréal, Guillaume-Antoine Laurent et de Marie-Charlotte Provençal (Lachance, 1966). Celle-ci est reconnue coupable d’avoir volé des vêtements chez ses patrons, les Pomereau, et elle est condamnée à mort.

Françoise attendait dans sa prison que le Conseil trouve un bourreau pour exécuter la sentence. C’est là que le nouveau bourreau Corolaire intervient auprès du Conseil pour faire libérer sa belle. Le Conseil accède à la demande à la condition que les deux se marient. Le mariage est célébré dans la chapelle du Palais de l’Intendant et Françoise est libérée de toutes les charges qui pèsent contre elle, dès l’inscription du mariage au registre.

Après Corolaire, c’est Pierre Gouet dit Lalime qui demande à devenir bourreau pour échapper à sa sentence qui était d’être envoyé aux galères pour 5 ans. C’était en 1754. Pierre Gouet n’a pas exercé sa charge de bourreau bien longtemps. Il est remplacé, moins d’un an plus tard, par Denis Quevillon, 19 ans.

Nous retrouvons toutefois Gouet, dans une bien mauvaise posture, en 1757, à Montréal. L’homme est accusé de vol et condamné à la pendaison. Mais, le Conseil se ravise et commue sa peine en service sur les galères du roi pendant 9 ans. De bourreau, Gouet devient forçat.

Le dernier bourreau de la Nouvelle-France

Denis Quevillon, qui était le bourreau attitré après Gouet, s’est trouvé à être condamné à la pendaison pour cause de vol. Pour combler la vacance, le Conseil gracie Joseph Montelle afin que celui-ci devienne bourreau en 1755.

Joseph Montelle est ainsi le dernier bourreau officiel de la Nouvelle-France.

Conclusion

Comme on le voit, il était peut-être plus facile de trouver des bourreaux, surtout en leur proposant la vie sauve en échange de prendre la charge, que de les garder en fonction. Malgré les avantages que le Conseil Souverain accordait à celui qui exerçait la profession de maître des hautes œuvres (maison de fonction, salaire, primes), le métier ne suscitait pas de vocation. Il semble qu’avec le changement de régime, la situation ne se soit pas améliorée. Boyer (1964) cite en exemple l’anecdote suivante qui s’est passée en 1775 et qui concerne une esclave noire, Ann Wiley, et son compagnon canadien, Jean Coutencineau :

Ils avaient volé une bourse de six guinées et le juge Philippe Dejean, de Détroit, les condamne tous deux à la potence en 1775. Mais il n’y a pas de bourreau et le savant juge régie la question de façon bien simple : il offre la vie sauve à la femme à condition qu’elle accomplisse l’exécution de Coutencineau. Elle accepte, s’acquitte de la tâche imposée, et s’en va.

À la suite de cette surprenante illustration de la justice triomphante, le juge Dejean, menacé de poursuites, quitta la ville de Détroit pour aller se réfugier dans les Illinois.

Boyer, 1964, p. 9

Les maîtres des hautes œuvres (bourreaux) sous le Régime français

Jacques Daigre (166?-1680)

Jean Rattier (1680-1703)

Jacques Élie (1705-1710)

Pierre Rattier (1710-1723)

Gilles Lenoir dit Le Comte (1728-1730)

Guillaume Langlais (1730-1733)

Mathieu Léveillé (1733-1743)

Jean-Baptiste Duclos dit Saint-Front (1743-1750)

Jean Corolaire (1751-1752)

Pierre Gouet dit Lalime (1754-1755)

Denis Quevillon (1755-1755)

Joseph Montelle (1755-1759)

TRAVAUX CITÉS

Boyer, R. (1964). Le bourreau au Canada. (U. McGill, Éd.) La revue de l’Association canadienne de psychiatrie, 9(6), pp. 521-532. Récupéré sur En ligne

Lachance, A. (1966, Mars 4). Les prisons au Canada sous le Régime français. (I. d. française, Éd.) Revue d’histoire de l’Amérique française, 19(4). doi:https://doi.org/10.7202/302513ar

Sulte, B. (1886). Histoire de Saint-François-du-Lac. Montréal : L’Étendard.

Illustration : Racey, Arthur George (1918). Le bourreau en attente. Dessin caricature à l’encre et mine de plomb. Don de Mrs Susan Racey Godber et Mrs Margaret Racey Stavert au Musée McCord. M2005.23.155. Récupéré le 3-03-2020 sur http://collections.musee-mccord.qc.ca/fr/collection/artefacts/M2005.23.155

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