Dès l’origine des âges et l’apparition de la vie sur terre, le soleil et la lune ont réglé la vie des plantes et des animaux. Les hommes n’ont pas fait exception. Il fait nuit : ils s’abritent. Il fait jour : ils se déplacent. Il fait froid : ils se protègent. Il fait moins froid : ils chassent ou bien ils guerroient. Très vite cependant, pour se situer dans le temps comme dans l’espace, pour se déplacer, pour échanger, pour commercer, il leur a fallu se fixer des repères. Toujours en se référant au soleil ou à la lune, points lumineux immanquablement présents dans le ciel.
Sans pour autant remonter aux temps immémoriaux pour lesquels les informations manquent ou n’ont pas été portées à ma connaissance, je vous propose de vous rappeler ce que vous savez, mais que vous avez enfoui dans vos mémoires, car ces données ne sont plus essentielles pour votre quotidien.
Il y a bien longtemps
En 46 avant J.C, les Romains, et après eux les Gaulois, remplacèrent le calendrier lunaire alors en usage par le calendrier solaire. Ce calendrier fut dit julien du nom de l’empereur qui en a pris la décision. Divisé en 12 mois et 365 jours, une journée supplémentaire étant ajoutée tous les quatre ans, il faisait débuter l’année au 1er mars. C’était logique, c’est le mois du dieu de la guerre, le mois qui marque le début des opérations belliqueuses. Le septième mois suivant a tout aussi logiquement reçu l’appellation, en français, de septembre (de la racine latine septem), le huitième d’octobre (de la racine octo), le neuvième celle de novembre (de novem) et le dixième celle de décembre (de decem). Mais voilà que Jules César, sur les conseils de l’astronome grec Sosigène d’Alexandrie, a avancé de trois mois le début de l’année : il fut dès lors fixé au 1er janvier. Personne ne s’est étonné que les appellations de certains mois soient de ce fait devenues illogiques.
Le premier jour
Allez savoir pourquoi, cette date du 1er jour de l’année s’est mise à varier au gré des époques et des pays. Dans la France médiévale par exemple, certaines provinces faisaient commencer l’année le 1er mars, d’autres à Noël, d’autres à Pâques. Ce dernier choix posait de sérieux problèmes puisque, la date de cette fête religieuse n’étant pas fixe[1], il en résultait des années ayant des durées variables. Se situer dans le temps devenait une opération des plus difficiles. C’est du reste la raison pour laquelle certaines régions adoptèrent la date fixe du 25 mars, jour de l’Annonciation, pour définir le début de l’année. Hélas, il suffisait de parcourir quelques lieues pour que ce repère change. Il fallut par conséquent faire usage de formules alambiquées pour préciser un jour particulier. C’est pour cela que la mort de Charles VII a été annoncée comme étant survenue le 7 avril 1497 « à compter de l’année à la feste de Pasques ainsi qu’on le fait à Paris », mais aussi en 1498 « à commencer à l’Annonciation de Nostre-Dame ainsi qu’on le fait en Aquitaine[2] ».
Pour une plus grande précision, il était devenu d’usage d’accoler au jour cité la mention « ante pascha » ou « post pascha » suivant que la fête de Pâques était ou n’était pas passée. Les jours eux-mêmes recevaient des dénominations différentes. Le dimanche ordinaire pouvait être appelé « dies dominica », « dies sanctus » ou « dies resurrectionis ». Autre exemple : s’agissant du dimanche des Rameaux, selon les endroits, la dénomination était « domini caolivarum », « dies osanna », « domini caindulgentiarum », « pascha competentium », « dies traditionis symboli », « broncheria » ou encore « capitilavium[3] ».
Imaginez dès lors les propos qu’auraient pu échanger deux compères quand la nouvelle de la décision arrêtée leur est parvenue.
[1] Pâques tombe le premier dimanche après la pleine lune de printemps (21 mars).
[2] Généalogie des Rois de France, par Bouchet (1506).
[3] Selon le « Recueil général des anciennes lois françaises », tome III, par Decrusy, Isambert et Jourdan.
Aristide et Clément s'y perdent
— T’as entendu comme moi, Aristide, ce qu’a raconté au prêche notre curé, ce dimanche ? J’ai rien compris, moi. Juste qu’il était pas content. Et je m’en demande le pourquoi.
— C’est pourtant simple, Clément. Il a dit que le début de l’année avait changé.
— C’est p’t’être simple pour toi qui sais lire et écrire. Ça l’est pas pour moi. Tu peux m’expliquer ?
— Chez nous, vois-tu, on change d’année à la fête de Pasques. Le roi veut que maintenant ça se fasse le 1er jour du mois de janvier. Ça changera rien pour toi. Les mois restent les mêmes et les jours de la semaine aussi.
— Si ça change rien, pourquoi il faut le faire ?
— Il faut le faire pour qu’on compte les années qui passent partout pareil dans le royaume de France.
— Parce que c’est pas pareil que chez nous, ailleurs ?
— Hé non, Clément ! Nous, comme tu le sais, on changeait d’année au jour de Pasques. Ailleurs, c’était à Noël. Ailleurs encore, c’était le jour de l’Annonciation à la Vierge Marie de la prochaine naissance de Jésus par l’ange Gabriel. Tu vois, c’est comme si dans notre village tout le monde ne respectait pas la même heure. Comment on ferait pour aller à la messe tous en même temps ?
— Là ! Je comprends. Mais, dis-moi Aristide, pourquoi le curé l’est pas content, puisque ça va arranger tout le monde ?
— Réfléchis un peu, Clément. Pasques, Noël, l’Annonciation, ce sont des moments importants pour l’Église. Ce sont de grandes fêtes religieuses. Elles représentent quelque chose de particulier. Tandis que le 1er janvier, ça n’a rien à voir avec la religion. C’est un jour banal, un jour pareil à tous les autres. Il est pas content, comme tous les curés, parce que le changement d’année ne sera plus un évènement dépendant de la religion catholique. Ça devient une affaire laïque.
— C’est quand même le jour de la circoncision du petit Jésus que nous a appris monsieur le curé.
— C’est vrai ! Toutefois, reconnais que c’est pas aussi marquant que le jour de sa naissance dans une crèche ou celui de sa mort sur la croix.
De l'ordre dans le temps
Bref ! Un enfer pour celui qui voyageait et devait traiter des affaires avec des gens d’une autre province ! Il devenait urgent de mettre bon ordre à toutes ces disparités si l’on voulait éviter les confusions à l’intérieur même du royaume. C’est Charles IX qui s’y employa.
Il va de soi que le clergé n’a pas accepté de bon gré cette décision royale. Le roi Charles IX a tenu bon. Ou plutôt son chancelier Michel de l’Hospital et son ministre Sébastien de l’Aubespine. Le principe en avait été arrêté dès l’édit de Saint-Germain de janvier 1563. Ses dispositions ne concernant que la datation des actes royaux, le chancelier souhaitait les étendre à l’ensemble du royaume. Le jeune roi faisait alors un grand tour de France voulu par sa mère, la reine Catherine de Médicis, afin de se faire connaître de ses sujets. Fuyant la peste qui sévissait à Lyon, la cour s’était installée au château de Roussillon, plus au sud dans la vallée du Rhône. C’est là que fut signé, le 9 août 1564, en pleine guerre de religion, l’édit qui imposait la date du 1er janvier comme point de départ de chaque année nouvelle. Bien qu’il fût enregistré à Paris le 22 décembre 1564, ce texte a conservé son appellation d’édit de Roussillon.
Il est intéressant d’observer que cette mesure fut, plus tard, adoptée par l’empereur germanique Charles Quint. Elle fut généralisée au monde catholique, en 1582, par le pape Grégoire XIII à qui on doit le calendrier dit grégorien. Elle fut confirmée par le pape Grégoire XV en 1622.
Je ne résiste pas au plaisir de vous en donner le contenu dans sa rédaction originale.
Voulons et ordonnons qu’en tous actes, registres, instruments, contracts, ordonnances, édicts, tant patentes que missives, et toute escripture privée, l’année commence doresénavant et soit comptée du premier jour de ce moys de janvier.
Donné à Roussillon, le neufiesme jour d’août, l’an de grâce mil cinq cens soixante-quatre. Et de notre règne de quatriesme.
Ainsi signé le Roy en son Conseil.
Signé Sébastien de l’ Aubespine
Recueil d’édits et d’ordonnances royaux
En réalité, les dispositions de cet édit ne furent pas scrupuleusement observées dans l’immédiat. Le parlement de Paris, notamment, conserva longtemps les anciens usages. Il fallut attendre 4 ans, soit le 1er janvier 1567, pour en constater une application pleine et véritable.
Il reste de cette décision importante une survivance cocasse : celle du poisson d’avril. La coutume a toujours voulu qu’on se fasse des cadeaux pour marquer l’entrée dans une année nouvelle, qu’elle soit à Pâques, à date variable comme on sait, ou à l’Annonciation, qui est fixée au 25 mars. Pour respecter la décision royale, la remise des présents a été déplacée. Mais, pour rappeler les anciennes coutumes, il s’est instauré, à la fin du mois de mars, la pratique du cadeau pour rire. Cette pratique est devenue la farce du poisson du 1er avril.
Il a fallu attendre le règne de Pierre Le Grand pour que la Russie abandonne le 1er septembre et adopte le 1er janvier, c’est-à-dire plus d’un siècle après. Quant à l’Angleterre, qui avait longtemps conservé le 25 mars, elle connut, lors de son alignement sur les dispositions prises sur le continent européen, une année 1751 qui ne comporta que neuf mois et une semaine !
TRAVAUX CITÉS
Recueil général des anciennes lois françaises », tome III, par Decrusy, Isambert et Jourdan.
La France pittoresque en ses numéros 5 et 34.
Illustration : Horloge solaire de Ralph dans Pixabay.
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