Dans un précédent article, Les 7 peines principales, nous avions évoqué le métier de bourreau, précisant qu’au début de la colonie, il s’agissait d’un métier en demande. En effet, aucun colon ne pouvait se prétendre bourreau de métier, en ayant exercé en France auparavant. Il s’avère même que, si la colonie appliquait le système de justice de la France, le corps de métier « bourreau » n’avait pas été créé, explique Boyer (1964). Ainsi, jusqu’en 1648, des gens étaient désignés selon les besoins « bourreau », apprenant le métier sur le tas. En 1649, un jeune tambour voit sa peine de mort transformée en métier de bourreau. Il devient dès lors le premier bourreau officiel en Nouvelle-France. Il semble n’avoir exercé que quelques années. En effet, il s’avère qu’en 1653 des suppliciés doivent faire office de bourreaux.
De cette date de 1653 jusqu’en 1665 où le Conseil Souverain décide d’acheter une maison au bourreau à Québec et de lui verser un salaire, le besoin d’un tel corps de métier ne se fait pas si cruellement sentir. C’est en 1668, en effet, qu’un bourreau est appelé pour exécuter une sentence de mort. Puis, arrive Jacques Daigre ou Daigle qui sera le premier bourreau dont on connaît le nom.
Le premier bourreau de Québec dont on connaît le nom
Le premier bourreau qu’il soit possible de nommer est Jacques Daigre ou Daigle. Si on ne sait pas quand il a commencé à exercer exactement, il était en fonction en 1675. En effet, cette année-là, il demande au Conseil Souverain des gages pour son assistant Jean Renault de Montauban (Boyer, 1964).
Daigre a exercé quelques années : certains disent jusqu’à sa mort en 1680. Toujours est-il qu’en avril 1680, l’homme était en procès contre Simon Chapacou dit LaNuit et son épouse Marie Pacaud qui seraient entrés par effraction chez lui pour lui voler des biens.
Difficile de garder son bourreau
Après Daigre, faute de bourreau officiel, c’est le condamné Jean Rattier dit Dubuisson, domestique de Monsieur Crevier, seigneur de Saint-François-du-Lac, qui embrasse la fonction pour demeurer en vie. Il avait été condamné à mort pour avoir assassiné une jeune métisse algonquine de 20 ans.
Suite à cette nomination, Rattier s’installe dans la maison du bourreau à Québec, Grande-Allée, avec femme et enfants. Mais, rapidement, il se plaint d’être tous les jours insulté, comme sa femme et sa fille aînée le sont également. Le Conseil Souverain édicte alors, en 1686, un arrêté interdisant à quiconque d’aller déranger le bourreau chez lui. En même temps, le Conseil lui achète une nouvelle demeure pour la somme de 300 livres, située à la haute ville (Québec ville).
Guillaume Bonhomme avait vendu à Nicolas Marsolet une maison située sur la Grande-Allée; Marsolet la céda au Conseil Souverain pour y loger le maître des hautes œuvres. En 1686, Jean Rattier se plaignit que certaines personnes étaient dans l’habitude d’aller insulter sa famille, à la maison de la Grande-Allée. Le Conseil édicta une défense à ce sujet.
Sulte, 1886
Malheureusement, la vie de Rattier n’est pas devenue paisible pour autant. En 1695, sa femme Marie Rivière et sa fille Marie-Charlotte sont arrêtées et emprisonnées pour recel. Si la fille s’en tire avec une réprimande, la mère est condamnée au carcan, le jour du marché, pendant une heure, avec une pancarte sur l’estomac indiquant : receleuse. Ils étaient nombreux à rire en voyant le mari exécuter une sentence sur sa propre femme[1].
Rattier est remplacé par le condamné à la pendaison Jacques Élie, en 1705. Celui-ci, âgé seulement de 23 ans, était emprisonné à Port-Royal, en Acadie, en attendant sa sentence. Mais, il s’en est échappé et est venu à Québec, là où il est repris. Pour avoir la vie sauve, il accepte de devenir bourreau. Mais, comme pour son prédécesseur, sa famille et lui sont régulièrement insultés, ce qui les pousse à fuir le Québec en 1710. Pourtant, le Conseil lui avait interdit de quitter le pays, parce que, cette année-là, Élie sort juste de prison après une condamnation pour vol.
Élie, voulant fuir malgré tout, s’en remet à un esclave amérindien, appelé Nicolas, pour se rendre en Nouvelle-Angleterre avec sa femme, Marie-Josephte Mareschal, et ses enfants. Mais, Nicolas n’est pas ce qu’on appelle une bonne âme. Aussi, sur le trajet, dans une forêt, il tue Élie et un de ses enfants. Il blesse grièvement la femme qui réussit à s’échapper avec le bébé de 14 mois.
En 1710, il faut donc un nouveau bourreau. Entrent en scène Pierre Rattier dit Dubuisson, le fils du bourreau Rattier, et sa femme Catherine Rousseau. Tous les deux sont accusés par la veuve Mareschal d’avoir conseillé à Élie de s’en remettre à Nicolas pour fuir en Nouvelle-Angleterre. Il est connu que Rattier fils et Élie ont fait quelques mauvais coups ensemble, ce qui leur a valu à tous deux des peines de prison. Avec cette dernière, les accusations s’accumulent pour Rattier fils qui, afin de s’en libérer, accepte la charge de bourreau, jusqu’au jour où il disparaît sans laisser de traces. C’était en 1723.
[1] Cette version de l’histoire est racontée par Boyer (1964).
Des bourreaux envoyés de France
Décidément, bourreau n’est pas un métier convoité dans la colonie. Les deux bourreaux qui succèdent à Rattier fils viennent directement de France. Il s’agit de Gilles Lenoir et de Guillaume Langlois. Mais, ce ne sont pas de bons sujets, comme l’attestent les plaintes envoyées au ministre par Beauharnois, Hocquart et Dupuy :
Le nomme Gilles Lenoir, Me des hautes œuvres, est un si mauvais sujet si furieux dans le vin et d’une conduite si désordonnée que l’on est obligé actuellement de le tenir toute l’année en prison, d’ailleurs il est imbécile…. Nous vous avons rendu compte que nous renvoyons en France le nommé Gilles Lenoir, Me des hautes œuvres, auquel le nommé Guillaume Langlois a été substitué et qui ne vaut pas mieux que lui. Le nommé Langlois est vieux, débile, et très sujet au vin. C’est tout ce qu’il peut faire que d’effigier les trois criminels qui se sont évadés.
Boyer, 1964, p. 7
À suivre : Métier : bourreau. 1733 à 1759.
TRAVAUX CITÉS
Boyer, R. (1964). Le bourreau au Canada. (U. McGill, Éd.) La revue de l’Association canadienne de psychiatrie, 9(6), pp. 521-532. Récupéré sur En ligne
Lachance, A. (1966, Mars 4). Les prisons au Canada sous le Régime français. (I. d. française, Éd.) Revue d’histoire de l’Amérique française, 19(4). doi:https://doi.org/10.7202/302513ar
Sulte, B. (1886). Histoire de Saint-François-du-Lac. Montréal : L’Étendard.
Illustration : Centre d’archives BAnQ Québec. Côte : TL1,S11,SS1,D11,P24. Procès entre Jacques Daigre, maître des hautes oeuvres (bourreau), demandeur et complaignant, contre Simon Chapacou dit LaNuit et son épouse, Marie Pacaud, défendeurs, quant au vol survenu dans la maison du demandeur ; il est ordonné d’assigner Simon Chapacou dit LaNuit et Marie Pacaud à comparaître. http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/archives/52327/3342195
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