Dans le temps : essais et excès (Deuxième partie)

Dans le temps : essais et excès (Deuxième partie)

Après le bouleversement concernant la date fixant le début de l’année dont il a été fait état précédemment, un autre bouleversement est intervenu. L’inventivité humaine n’a en effet pas de limites.

Quelques siècles plus tard

Les législateurs du moment ont voulu instituer un calendrier différent. Déterminée à rompre une bonne fois pour toutes avec l’Ancien Monde, la Convention voulait engager la France dans une ère nouvelle. Pour cela, il lui fallait faire disparaître tout ce qui pouvait rappeler la Monarchie et l’Église. Définir un découpage du temps différent tendait vers cet objectif. La nouvelle organisation devait obéir aux lois de la nature et non à celles d’institutions dépassées et, surtout, honnies. C’est ce qu’il a été décidé de faire le 22 septembre 1792.

Dans le droit fil du système métrique mis en place dès l’année 1790, le calendrier républicain, tournant délibérément le dos au calendrier grégorien, s’appuyait sur le système décimal. Ambitieux, il instituait une « ère des Français » dont le début était celui de la naissance de la République. Nouvelle fragmentation du temps, par conséquent, mais aussi nouvelles appellations des mois et des jours. Bref ! Une transformation totale, et brutale de surcroît, qui fit l’effet d’une bombe. Étonnement pour beaucoup, fureur pour certains, enthousiasme pour d’autres.

Qu'en disent Martin et Mayeul?

En ce jour de décembre 1792, Martin et Mayeul se détendent après une dure journée de travail aux champs. Ils se sont assis devant l’âtre en attendant qu’il soit l’heure de rentrer chacun chez soi.

— Tu t’y retrouves, toi, Martin, dans ce nouveau calendrier qu’ils disent qu’ils vont mettre en place ?

— Je reconnais que c’est pas facile de s’y retrouver, car tout y est bouleversé.

— Et pourquoi ça, je te demande ? Déjà qu’on est tout tourneboulé avec les mètres, les litres et les kilogrammes !

— Dis donc, Mayeul. Il me semble que tu l’as voulue, toi, cette révolution ! Maintenant que tu l’as, tu dois faire avec.

— Moi, j’voulais qu’çà change, c’est vrai. Mais pas tant qu’ça ! Ça me fait tout drôle qu’on commence l’année le 22 septembre et plus le 1er janvier. Et qu’on redémarre au numéro 1 le comptage des siècles, ça fait bizarre.

— Tu sais pourquoi ils ont choisi le 22 septembre ?

— Ben, oui ! C’est le jour de la proclamation de la République qui a remplacé le Roi.

— C’est surtout le jour de l’équinoxe d’automne. C’est le retour à la nature et non plus la référence aux vieilles croyances.

— C’est amusant les noms des mois. Ça veut dire quelque chose au moins. On les retient mieux : germinal, vendémiaire, brumaire, ventôse, c’est ce qu’on vit par chez nous à la campagne. Il y a maintenant 12 mois de 30 jours et de 3 décades. C’est quand même plus simple. Adieu les semaines qui rappelaient le catéchisme et la création du monde selon la Bible.

— C’est vrai que c’est amusant. Et simple, avec10 heures par jour, 10 minutes par heure et 10 secondes par minute. Bon ! Moi, ça ne me dérange pas. Sauf que le temps ne connaît pas le système décimal, que m’a dit notre curé. Il a dit qu’il faudra des ajustements, sinon il finira par faire nuit à midi.

— Moi, je bouge pas d’ici. Alors, tout ça, je m’en moque. Et toi, Martin ?

— Moi non plus, c’est sûr. Je sors guère de notre département, comme on doit dire à présent. C’est pas ce que dit mon cousin. Lui, il est marchand. Il fait les foires. Il va même parfois de l’autre côté du Rhin. Et là-bas, ils veulent pas connaître notre nouveau calendrier. Il se demande comment il va lui falloir faire pour retenir les dates des foires.

— On a le temps de s’y faire. Ils ont dit que si ça a commencé le 22 septembre 1792, ce sera appliqué vraiment que le 6 octobre 1793.

— Tu vois que tu as du mal à t’y faire. Tu aurais dû dire le 1er vendémiaire de l’an I et le 15 vendémiaire de l’an II.

— C’est que je peine à me familiariser avec tous ces changements de mots.

— Et ta femme, qu’est-ce qu’elle en dit, elle qui va à la messe ?

— La Thérance ? Elle apprécie pas la disparition du nom des saints et elle regrette la fin de toutes les fêtes religieuses d’autrefois. Pourtant, à la messe, elle y va pu. Y a pu de curé au village.

— Tu le dis pas, Mayeul, mais toi aussi tu vas les regretter ces fêtes disparues. C’était de bonnes occasions pour ne pas travailler.

— Je n’y avais pas pensé. C’est comme le dimanche y en aura plus.

— Hé non ! Au lieu de se reposer un jour sur sept, ce sera désormais un jour sur dix.

— Les gens vont râler, c’est sûr !

— C’est sûr que ça va pas être facile à mettre en place tout ça.

Pas facile tout ça!

Oh, non ! Ça n’a pas été facile ! Les paysans ont la tête dure et ils n’apprécient guère le changement, dès lors qu’il apporte de tels bouleversements. La nature est têtue. Plus encore que peuvent l’être les révolutionnaires les plus obstinés. Le système décimal mis en place pour déterminer le temps ne pouvait pas s’affranchir des mouvements de la lune. Aux 360 jours de l’année type, il a fallu ajouter 5 jours complémentaires les années communes ; ils reçurent le nom peu poétique de « sans-culottides ». Ce n’était pas suffisant ; un jour supplémentaire, ce qui en faisait six, a dû être ajouté aux années bissextiles. Cette année particulière fut appelée « franciade » et le jour de rattrapage fut baptisé –si vous permettez ce clin d’œil – le « jour de la Révolution ». On ne peut pas faire mieux pour déboussoler les foules !

Et puis, un jour de repos sur dix ! C’était trop imposer. Les animaux eux-mêmes ont besoin de repos. Il a donc fallu inventer de nouvelles choses à fêter pour permettre un repos supplémentaire.

Quel casse-tête au bout du compte ! De sorte que ce calendrier républicain, que personne n’avait évidemment adopté dans l’Europe monarchiste de l’époque, disparut en 1806. Le 11 nivôse de l’an XIV, soit le 1er janvier 1806, le calendrier grégorien fit son retour. L’empereur Napoléon Ier devait s’attirer les bonnes grâces du pape Pie VII avec qui il avait signé le Concordat en 1802.

Le calendrier révolutionnaire connut toutefois une survivance que lui donna la Commune de Paris en 1870. Ainsi que vous le savez, elle fut brève.

Le calendrier révolutionnaire, donc?

« Le ridicule ne tue pas », dit-on. Et pourtant, le calendrier révolutionnaire faillit en être une caricature grotesque.

L’idée qui animait les premiers révolutionnaires, ou plus précisément les plus idéalistes d’entre eux, était la nécessité absolue d’effacer à tout jamais les anciens usages des Français, c’est-à-dire de réformer les mœurs et d’éradiquer la religion, la religion catholique s’entend. Ce qui était habilement exprimé au moyen de formules enivrantes, telles que « conjurer le despotisme » et mettre fin à « l’ancienne servitude des peuples ». Qui pouvait s’y opposer ? Le rapport présenté dans ce sens au Comité de salut public disait expressément que « le temps ouvre un nouveau livre de l’histoire » et qu’il va « graver d’un burin mâle et vigoureux les annales de la France qui se régénère ». C’est ainsi que la date du 22 septembre 1792, qui marque l’équinoxe d’automne, fut proposée pour être le nouveau commencement de l’année. À 9 heures, 18 minutes et 30 secondes selon les indications des astronomes consultés. Il convenait de donner corps à cette proposition. Le 5 octobre 1793, la Convention déclara abolie l’ère vulgaire « pour les usages civils ». L’ère républicaine devrait débuter le 22 septembre ; elle serait partagée en 12 mois d’une durée égale de 30 jours chacun et se terminerait par 5 jours complémentaires, appelés épagomènes, qui ne seraient rattachés à aucun mois.

L’élaboration du projet fut confiée aux savants Monge, Lagrange, Guyton-Morveau, Pingré et Dupuis. Le député Charles-Gilbert Romme le présenta. Je vous en livre le résultat qui est pour le moins sidérant. Voici les noms proposés pour désigner les 12 mois de l’année : République, Unité, Fraternité, Liberté, Justice, Égalité, Régénération, Réunion, Jeu de Paume, Bastille, Peuple et Montagne. Non moins étonnantes sont les appellations suggérées pour désigner les trois décades devant composer chaque mois. La première est appelée Niveau, mot supposé évoquer l’égalité ; la seconde est intitulée Bonnet, objet vestimentaire sensé être le symbole de la liberté ; la troisième est baptisée – je ne puis m’empêcher ce blasphème républicain – Cocarde, en hommage aux trois couleurs nationales. D’autres possibilités étaient avancées. Je vous les livre : Pique l’arme de l’homme libre, Charrue qui confère au pays sa richesse terrienne, Compas symbole de la prospérité industrielle, Faisceau de qui naît la force de la nation réunie, Canon qui a permis les victoires sur le despotisme, Chêne symbole des vertus sociales et, enfin, Repos. À vous d’en trouver la meilleure justification.

Malgré l’enthousiasme sans borne qui animait l’assemblée du peuple, certains de ses représentants ont saisi la démesure de telles dénominations. Le député Bentabole, par ailleurs partisan d’une ère républicaine nouvelle, se montra hostile à tout changement de subdivision du temps et d’appellations des mois, arguant qu’il en résulterait de dommageables confusions dans les relations de la France avec les autres puissances. Allant plus loin, le député Duhem qualifia ces propositions de puériles. Abordant la possible dénomination des jours, car le nom des saints devait disparaître, il mit la Convention en garde avec ces mots :

Ne faisons pas comme le souverain pontife de Rome qui remplit son calendrier de saints, et ensuite, quand il en vient de nouveaux, ne sait plus où les placer.

(…)

Ne faites point un calendrier pour la seule nation française ; que ce monument devienne celui de tous les peuples.

(,,,)

Ne vous écartez pas de l’ordre qui est celui de la nature

Duhem

Ces sages ne furent pas écoutés. De sorte que les dispositions générales du projet furent adoptées. En fait foi le procès-verbal daté du 15e jour du 1er mois de l’an II de la République française.

Néanmoins, sensibilisés par les harangues précédentes, les députés demandèrent à deux poètes, Chénier et Fabre d’Églantine, d’élaborer d’autres nomenclatures. C’est ainsi que les appellations soumises par Fabre d’Églantine furent adoptées le 24 octobre suivant.

Remercions ces deux écrivains qui ont su mettre de la poésie là où d’autres voulaient plaquer du ridicule !

TRAVAUX CITÉS

Recueil général des anciennes lois françaises », tome III, par Decrusy, Isambert et Jourdan.

La France pittoresque » en ses numéros 5 et 34.

Illustration : Image par Marcos Vinicius Rodrigues Lima de Pixabay

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