Dans notre article sur les voyages de l’explorateur Giovanni da Verrazano, nous avions relevé à quel point les explorateurs italiens avaient été essentiels pour la grandeur de l’Espagne, de l’Angleterre et de la France, puisqu’ils ont découvert l’Amérique pour ces pays. Et c’est encore à des Italiens, des Vénitiens plus particulièrement, les frères Nicolò et Antonio Zeno, que l’on a attribué la découverte de l’Amérique avant Christophe Colomb. Mais, peut-être n’est-ce qu’une légende… En fait, il s’avère qu’à partir des années 1830, cette thèse perd progressivement de sa crédibilité et devient davantage une belle histoire (Chemel, 2013).
Les Vénitiens
Les Vénitiens ont été de grands explorateurs. Il suffit de penser au célèbre Marco Polo qui, vers le milieu du treizième siècle, s’en est allé parcourir l’Asie et y demeurer un très long temps. Marco Polo a écrit un rapport de ses voyages qui pouvait, certes, contenir des erreurs par manque de rigueur scientifique. Il n’en demeure pas moins que ses récits étaient d’une valeur indéniable pour la connaissance de la géographie des lieux visités (Daru, 1840).
D’autres Vénitiens ont contribué à faire avancer la connaissance de leur époque. Daru (1840) cite le frère Mauro (vers 1385-1460), savant cosmographe et religieux du couvent des Camaldules de Saint-Michel, près de Venise, qui a laissé à la postérité une mappemonde de l’Asie. Puis, il mentionne Marin Sanuto qui présenta au pape, en 1321, un ouvrage intitulé Les secrets des fidèles de la croix. Non seulement cet ouvrage indiquait les moyens de reconquérir la Terre-Sainte, mais il décrivait également, précisément, l’Égypte, la Syrie et la Palestine (Daru, 1840).
Il est certain que dès le XIVe et le XVe siècle, antérieurement à la découverte du cap Bonne-Espérance et de l’Amérique, ils [les Vénitiens] avaient exécuté des mappemondes, des portulans et des descriptions détaillées de la terre alors connue.
Daru, 1840, p. 32
Bref, les Vénitiens ont réalisé de nombreux voyages, fait des découvertes importantes et rapporté des connaissances scientifiques indéniables. Ils en auraient effectué bien plus que ce que l’on en connaît d’ailleurs. Notamment, il semble que des Vénitiens aient indiqué l’existence d’une grande terre au-delà de l’océan Atlantique des années avant le voyage de Colomb. C’est ainsi qu’ils « auraient pénétré dans l’archipel des Indes avant les Portugais, ils auraient abordé aux côtes d’Amérique avant Christophe Colomb » (Daru, 1840, p. 34).
La découverte de l'Amérique à la fin du XIVe siècle
Cet exploit est attribué à Nicolò et Antonio Zeno, frères du héros de guerre Carlo (Charles) Zeno qui vainquit les Génois à Chioggia. La famille Zeno appartient à la noblesse de Venise. Elle en est même une des plus vieilles familles. Et Nicolò, avant d’être voyageur, a été l’un des douze orateurs envoyés à Marseille en 1367 pour accompagner à Rome le pape Urbain V (Boussard, 1886).
Vers la fin du quatorzième siècle donc, Nicolò et Antonio découvrent l’Islande, le Groenland, le Canada, la Virginie et même le Mexique d’après Daru (1840). La découverte de ces terres fait l’objet d’un ouvrage, publié seulement en 1558 par un Nicolas Zeno de la même famille né en 1515 : Relation de la découverte des îles Friesland, Esland, Engroveland, Estotiland et Icari, faite par les deux frères Zeno, Nicolas et Antoine. Le titre original de l’ouvrage est Dello scoprimento dell’ isole Frislanda, Eslanda, Engrouelanda, Estotilanda e Icaria fatto sotto il Polo artico, da’ due fratelli Zeno, M. Nicolo il K. e M. Antonio (Oleson, 1966). Le texte est réédité en 1574 par les héritiers de Giambattista Ramusio ; il est traduit en anglais en 1582 par Richard Hakluyt ; on le retrouve en latin dans les textes de Jean Isaac Pontanus en 1631 ; des références aux voyages des frères Zeno sont multiples dans différents autres ouvrages (Mund-Dopchie, 2002).
Attardons-nous, donc, sur les voyages des frères Zeno (Zeni). Nous ne retraçons ici qu’une version possible de leur épopée. Pour une critique plus exhaustive des faits et de leur chronologie, se reporter, par exemple, aux écrits de Monique Mund-Dopchie (docteure en philologie classique, agrégée de l’enseignement supérieur, professeure émérite), dont un des textes est cité en référence.
Les aventures des frères Zeno
Nicolò Zeno veut voyager, connaître le monde, apprendre d’autres langues et d’autres cultures. Au cours d’un premier voyage sur un navire qu’il fait construire et qu’il arme, Nicolò sort de la Méditerranée. Il est malheureusement pris par une violente tempête qui l’oblige à accoster sur une île, afin de sauver son équipage et sa cargaison. C’était en 1380 ou 1390 et l’île, appelée Frisland, appartient au roi de Norvège. Mais quand Nicolò Zeno y accoste, cette île est entre les mains d’un seigneur, ennemi du roi de Norvège, appelé Zichmni.
Zichmni reçoit bien le Vénitien qui est en perdition sur ses côtes. En le côtoyant, le seigneur se rend d’ailleurs compte des qualités maritimes du voyageur. Aussi, le nomme-t-il grand capitaine de son armée (Boussard, 1886). Beauvois précise dans son ouvrage, le Monastère de Saint-Thomas, que Zichmni fait de Zeno son gouverneur de Bres dans l’Estland (Lejeal, 1906).
Toujours est-il que Zeno et Zichmni partent à la conquête d’autres îles norvégiennes. Puis, ils arrivent en Engroueland (Groenland). Ils y trouvent des religieux dominicains dédiés à Saint-Thomas, originaires de Norvège, de Suède, d’Islande et d’autres pays européens. Ces moines ont bâti leur monastère près d’un volcan. Grâce aux sources d’eau chaude qui proviennent du volcan, ils entretiennent des serres où poussent des fruits et des légumes.
De retour en Frisland, Nicolò demande à son frère Antonio de le rejoindre, ce que celui-ci ne tarde pas à faire. Nicolò décède 4 ans plus tard, soit avant 1400 (Boussard, 1886), ou vers 1402, puisqu’il aurait rédigé un testament à Venise vers 1400 (Oleson, 1966).
Antonio devient, dès lors, général des armées de Zichmni. Il le restera pendant 10 ans. C’est pendant cette période qu’Antonio envoie à son frère Charles, demeurant à Venise, la relation de ses découvertes.
À cette époque, un pêcheur frislandais revient chez lui en racontant qu’il a été jeté par une tempête sur une terre située vers l’Occident : l’Estotiland. Cette terre est, selon les dires du pêcheur, située à plus de mille lieues de la Frisland ; c’est une île grande comme l’Islande, mais plus riche et plus fertile encore.
Antonio Zeno et Zichmni s’empressent de monter une expédition en direction de l’Estotiland, tant l’île décrite semble merveilleuse ; c’était vers le mois de juillet. Ils découvrent en effet une île ; ils la nomment Icaria. Ils ne peuvent cependant pas y accoster, car les habitants sont farouches. Ils en repartent donc.
Un vent du Sud pousse les navires vers le Groenland où les navigateurs débarquent. Quelque temps plus tard, Antonio retourne vers Frisland, tandis que Zichmni souhaite fonder une ville au Groenland.
Sur le chemin de retour, Antonio se prend de nostalgie pour son Italie natale. C’est là qu’il décide de rentrer chez lui. Il apporte les lettres, les cartes et les récits de voyage de son frère. Ces notes permettent l’écriture de la Relation des voyages. Antonio meurt un an après son retour en Italie.
À la vérité
Il s’agit bien sûr d’une belle histoire qui a, cependant, fait couler beaucoup d’encre.
Effectivement, on ne peut pas se dispenser de regarder cette relation comme romanesque, quand on lit que le prince Zichmni parlait latin, et avait des livres latins dans sa bibliothèque (…) .
Daru, 1840, p. 37
Mais alors. Qu’en est-il de la curieuse île de Frisland ; de la fertile Estotiland ; de l’étrange Icaria ; de la terre de Drogeo ? Que de mystères !
TRAVAUX CITÉS
Boussard, M. (1886). Les Vénitiens dans les régions polaires au Moyen Âge. Dans S. G. Toulouse, & B. n. France (Éd.), Bulletin de la Société de Géographie de Toulouse (Vol. 1, pp. 3-20). Toulouse: E. Privat, Librairie-Éditeur.
Chemel, C. (2013, 06 25). “Dello scoprimento fatto sotto il Polo artico” : le voyage des frères Zeno. Récupéré sur BnF Gallica: https://gallica.bnf.fr/blog/25062013/dello-scoprimento-fatto-sotto-il-polo-artico-le-voyage-des-freres-zeno
Daru, P. A. (1840). Histoire de la République de Venise (Vol. 10). Bruxelles: Gregoir, Wouters et Cie Éditeurs.
Lejeal, J. (1906). Les volcans de l’île Jan Mayen et la Relation des Zeni. Journal De La Société Des Américanistes, Nouvelle série. 3(2), pp. 319-321. Consulté le 07 26, 2019, sur http://www.jstor.org/stable/24720773
Mund-Dopchie, M. (2002). Fortune des “voyages en septentrion” des frères Zeno aux XVIe et XVIIe siècles: quelques pistes de réflexion. Humanistica Lovaniensia, 51, pp. 55-81. Consulté le 07 26, 2019, sur http://www.jstor.org/stable/23973992
Oleson, T. (1966). Zeno, Antonio. (U. L. Toronto, Éd.) Consulté le 07 24, 2019, sur Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1: http://www.biographi.ca/fr/bio/zeno_antonio_1F.html
Illustration : Zeno, N. (1557, 12 31). Carte de Nicolo Zeno de 1558 indiquant Estotiland et Drogeo. (A. r. Beliggenhed, Éd.) Consulté le 07 26, 2019, sur Wikipedia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Estotiland#/media/Fichier:Map_by_nicolo_zeno_1558.jpg
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