André Thevet : célèbre cosmographe, prétendu grand voyageur

André Thevet : célèbre cosmographe, prétendu grand voyageur

André Thevet (1516 ?-1592), cosmographe du roi Henri II, puis de ses 3 fils, est connu pour ses écrits, notamment ceux sur le Canada, bien qu’il n’y soit jamais allé lui-même. Il est de même pour de nombreux autres lieux qu’il a pourtant décrits.

Thevet n’est donc pas exempt de critiques depuis bien longtemps. Il passait déjà, aux yeux de ses contemporains, pour quelqu’un qui n’avait pas un jugement très sûr. D’autre part, son style était qualifié de lourd et pédant (Gaffarel, 1878). Mais, le pire était à venir. Le professeur de littérature française à l’université Paris-Sorbonne et spécialiste de la Renaissance, Franck Lestringant, en fait un portrait impitoyable :

 

Dans la vie d’André Thevet, il n’y a jamais eu qu’un seul voyage, contemporain de la fondation de la France Antarctique en 1555-1556, et dans son œuvre c’est d’une certaine manière toujours le même récit qui reprend : des Singulantez de 1557 à la Cosmographie universelle de 1575, dont les livres XXI à XXIII amplifient le périple américain de l’auteur, puis aux développements ultimes de l’Histoire de deux voyages, Thevet ressasse indéfiniment sa trop brève expérience de globe-trotter.

Lestringant, 1991

On le comprend, Thevet n’aura pas effectué les voyages qu’il prétend décrire. Il s’est approprié des visites faites par d’autres. Il a réécrit et repris à son compte les récits d’autres voyageurs. Il est vrai que, en tant que cosmographe du roi, il avait des accès privilégiés à la connaissance, aux textes et journaux de capitaines de navire et bien d’autres choses encore. Il a certainement dû également fréquenter des explorateurs comme Cartier et Roberval qu’il a dû écouter. Il a su, assurément, exploiter les informations glanées ici et là.

Sa vie

André Thevet est né en 1516 et il est mort en 1592, selon les dates données par Lestringant (1991). Pour Gaffarel (1878), il serait né en 1502. Cet auteur précise que les recherches qu’il a effectuées dans la ville natale de l’intéressé n’ont rien donné. Pour ma part, j’ai également lu des auteurs qui indiquaient 1504 pour la naissance et 1590 pour le décès. Lestringant (1991) nous éclaire sur toutes ces disparités. Il s’avère que l’épitaphe de l’église des Cordeliers à Paris qui indique le décès de Thevet le 23 novembre 1592 à l’âge de 88 ans ne peut être retenue. Cela voudrait dire qu’il serait né en 1504.

Thevet est né à Angoulême, ainsi qu’il l’affirme lui-même dans ses écrits. C’est ce que Denis (1851), dont Gaffarel s’inspire, rapporte, tout en précisant que le jeune André n’a pas joui d’une bonne éducation :

(…) il [Thevet] est né en la ville d’Angoulême; mais, ce qu’il se garde bien de nous dire, c’est que ses études premières furent nulles, et qu’il ne sût jamais réparer cette absence de bonnes lettres, comme on disait alors; car, malgré les efforts qu’il renouvela durant une longue carrière pour faire croire à une érudition qu’il n’avait point, le bonnet dont le coiffa si libéralement le malin Rabelais, laissa toujours passer le bout de l’oreille, et le cordelier étourdi, que l’inquisition appréhenda un beau jour eu Espagne, ne fut d’abord qu’un ignorant dont l’ordre se glorifiait peu. (…).

 

Denis, 1851

Pourtant, Thevet est le cadet d’une famille de chirurgiens-barbiers, explique Lestringant (1991). Mais, il n’a pas suivi le même chemin que ses frères, car il a été contraint, à l’âge de 10 ans, d’entrer chez les cordeliers d’Angoulême. Bien qu’il ait maintenu des relations cordiales avec ses frères, il gardera une amertume profonde de ce destin imposé par ses parents avec qui, par contre, les relations demeureront tendues.

Thevet ne sollicite sa sécularisation, qui lui sera accordée en 1558 et prononcée définitivement en 1559, qu’à son retour de son voyage au Brésil en 1555-1556.

Les voyages

(…) Thevet gardait empreinte dans son esprit cette vérité de l’immortel penseur : il sentait confusément que la curiosité, fille de l’ignorance, peut être mère de la science : or, loin de jeter le froc aux orties, il le mit de côté, avec dessein de le reprendre, puis il quitta le couvent, et voyagea.

Denis, 1851

Si Gaffarel et Denis louent l’infatigable voyageur, ils encensent également le collecteur laborieux de connaissances qu’il a livrées à la postérité. Pourtant, d’après Lestingant (1991), Thevet aurait voyagé, tout au plus, pendant une dizaine d’années. En effet, son voyage au Brésil s’avère être le dernier : Thevet, qui a quarante ans, s’installe à Paris en 1556 et ne s’en éloigne dorénavant plus vraiment. La période de ses voyages ne semble en fait s’étendre que de 1549 à 1556.

Lestringant démontre, dans son ouvrage cité en référence, que Thevet n’a pas réalisé les voyages qu’il affirme avoir faits. Vers 1549, Thevet embarque à Venise pour le Proche-Orient. Il se trouve à Jérusalem pour la Semaine sainte en 1552, après des haltes prolongées à Constantinople et Alexandrie.

Puisqu’il se dirigeait vers Jérusalem à cette époque, il n’a pas pu se rendre en même temps « aux païs Antartiques et terres appelées neuves ». Il n’a pas pu, toujours aux mêmes dates, réaliser une première visite du Brésil en compagnie du capitaine et cartographe Guillaume Le Testu. Mais, il s’est rendu au Brésil en 1555-1556, d’où il est revenu malade.

En dépit du peu de voyages effectivement effectués, malgré le peu de déplacements à son actif, le personnage ne craint pas d’élaborer le gigantesque projet de « peindre la terre entière » (Lestringant F. , 1991), ce qu’il réalise dans des ouvrages qui ont fait parler de lui.

L'expérience, base de la science

Thevet n’a donc pas été un grand voyageur. Bien qu’il clame que seule l’expérience peut être le socle de la cosmographie, on ne peut pas dire que la sienne soit riche. Cela ne le gêne pas. Il base toute sa carrière sur l’expérience qu’il aurait acquise au cours de ses voyages. Il s’avère que, par un drôle de phénomène, plus il se sédentarise à Paris, plus son passé de voyageur prend de l’ampleur (Lestringant F., 1991).

Car la « sacrosainte « expérience » de Thevet ne se rattache pas à proprement parler à un empirisme, ni même, comme c’est le cas chez Palissy, à un « expérimentalisme ». Sans doute rencontre-t-on dans son œuvre de savoureux récits d’expérimentation, comme celui de cette autruche à laquelle, étant au Caire, il présenta une pièce de fer, pour vérifier le dire de Pline touchant à l’appétit de cet animal. Épreuve négative : l’infortuné volatile « s’en trouva si bien, qu’il en estrangla ». Mais, le plus souvent, cette expérience, qui n’apparaît pas soumise au contrôle de la raison, est l’argument massif et ultime qui lui permet d’abolir vingt siècles d’accumulation du savoir géographique.

Lestringant, 1991

Conclusion

Thevet se savait manquer de culture, mais il était doté d’une très grande curiosité et il était travailleur. Par chance ou hasard, il est devenu cosmographe du roi. C’est ainsi qu’il a eu un accès privilégié à de nombreux écrits et à une information nombreuse et variée. Cela lui a permis de rédiger son œuvre « longtemps vouée au rayon des bizarreries » (Lestringant F. , 1991, p. 17). Mais :

(…) Thevet n’aura pas totalement échoué. Il a su un instant cristalliser autour de lui la curiosité de son siècle et l’aimanter vers ces nouveaux horizons qui restent son domaine de prédilection.

Lestringant, 1991

TRAVAUX CITÉS

Denis, F. (1851). Lettre sur l’introduction du tabac en France. Dans A. Demersay, Du tabac au Paraguay : culture, consommation et commerce. Paris. Consulté le Décembre 2019, sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k117500w/f49.item.r=thevet

Gaffarel, P. (1878). Les singularitez de la France antarctique (Nouvelle édition) / André Thevet ; notes et commentaires par Paul Gaffarel. Paris. Consulté le Décembre 2019, sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411316v/f4.image

Lestringant, F. (1986). Voyage dédoublé, voyage éclaté. Le morcellement des Terres Neuves dans l’Histoire de deux voyages d’André Thevet (c. 1586). (L. P. Montréal, Éd.) Études françaises, 22(2). doi:https://doi.org/10.7202/036888ar

Lestringant, F. (1991). André Thevet : cosmographe des derniers Valois. Genève: Librairie Droz. Récupéré sur En ligne

Illustration : Portrait d’André Thevet par Thomas de Leu (1586). Grand Insulaire et Pilotage. commons.wikimedia.org

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