Autant écrire des dialogues est nécessaire pour rendre un texte dynamique, autant remplir des pages de dialogues qui ne disent rien et qui n’ont pas été judicieusement réfléchis est complètement inutile, voire désastreux. Lisons bien Pierre Tisseyre:
Lorsqu’on tombe sur un dialogue dans les premières pages d’un roman, on sait tout de suite si on est en face d’un véritable auteur ou si l’on va perdre son temps à lire plus avant »
Pierre Tisseyre, L’Art d’écrire, 1993.
Personnellement, il m’a déjà été donné de parcourir des romans dont les dialogues des premières pages m’avaient rendue suspicieuse quant à la pertinence du propos de l’entièreté de l’ouvrage. La suite de la lecture ne démentait malheureusement pas l’impression première.
Il est très difficile d’écrire des dialogues. S’imprégner des règles générales est déjà une étape importante pour éviter les impairs. Puis, comme pour tout le reste, écrire et réécrire, se corriger, effacer et recommencer jusqu’à satisfaction.
Qu'est-ce qu'un dialogue?
Un dialogue, dans un roman, est une conversation ciblée dans le temps et dans l’espace entre, au minimum, deux personnes; c’est un échange parlé transcrit sous forme écrite. De ce concept même réside toute la complexité de son élaboration. En effet, le dialogue dans un roman est une communication qui n’en est pas réellement une, car il n’a pas la spontanéité d’un face à face entre deux personnes différentes. Un tel dialogue ne peut offrir à l’identique toutes les mimiques des personnages ou leurs gestes, leurs phrasés personnels, les pauses et les attentes de la conversation, les petits mots creux ajoutés pour ponctuer ce que l’autre dit, etc. Rappelons-nous qu’il s’agit en fait d’un monologue, le monologue de l’écrivain. Ainsi, un dialogue écrit afin de satisfaire des circonstances précises d’une histoire ne peut être qualifié de communication authentique; il n’en a pas la fraîcheur.
Le dialogue, cet échange verbal ou cette conversation, a différentes fonctions. Il peut éclairer sur les intentions des protagonistes, leur apparence, leur sentiment. Il peut préciser un contexte ou une situation. Il peut encore participer à une tension ou une problématique. Dans tous les cas, il n’est ni anodin ni superflu. Il est, assurément, utile à l’histoire s’il fournit une donnée précise au lecteur.
Un dialogue ce n’est pas des mots, c’est un sens. Un dialogue doit dire quelque chose qui est l’action, qui est la raison pour laquelle le dialogue est dit. On oublie trop cela.
À voix nue, France Culture, avec René Clément le 18/09/1997
Par exemple, le dialogue ne doit pas entraîner le lecteur sur une fausse représentation des personnages. Pierre Tisseyre (dans L’Art d’écrire, 1993) explique :
Les auteurs donnent souvent la parole à des personnages qu’ils disent intelligents ou cultivés, mais à qui ils font débiter des niaiseries, des lieux communs ou des clichés.
Dans l’écriture d’une fiction, si le dialogue anime les personnages, il leur donne également de la substance, une sorte de crédibilité, de la consistance. Tous ces attributs sont évidemment en lien avec la narration. Ils portent la profondeur de l’histoire que l’auteur destine aux lecteurs.
Comment écrire un dialogue
Pour Barrau (dans Méthode de composition et de style, 1869), le dialogue doit être naturel et rapide :
« Naturel, c’est-à-dire que chaque personnage doit tenir un langage convenable à sa situation et aux sentiments qui l’animent; Rapide, c’est-à-dire qu’il faut non seulement éviter les divagations et les paroles osseuses, mais encore ne mettre au dialogue que ce qui est nécessaire pour la clarté et pour l’intérêt, et faire du reste de la conversation un court résumé. »
Selon Albalat, il y a deux sortes de dialogue: «L’un, littéraire, phrasé, construit, livresque; l’autre, qui est la reproduction photographique de la parole parlée, dans son raccourci imprévu, sautillant, fiévreux, primesautier, elliptique. Or rien n’est plus difficile que l’art d’équilibre ces deux extrêmes (…). En général, le dialogue ne peut avoir la vivacité, la vie, l’illusion du vrai, s’il est écrit dans le style même de la narration ou du récit. Il y faut d’autres phrases que les phrases d’un livre ou d’un morceau littéraire; des phrases conçues autrement, plus courtes, plus haletantes, plus coupées. Il faut que chaque personnage dise peu de choses à la fois, par la raison que, dans une conversation, chacun veut parler et n’écoute pas longtemps son interlocuteur.
Sauf des tirades voulues et préparées, c’est la riposte rapide qui forme l’intérêt d’un dialogue.
Antoine Albalat, L’art d’écrire enseigné en 20 leçons, 1899.
Mais Albalat met en garde : « Ne l’oublions pas pourtant : il y a dans la photographie pure et simple de la conversation un écueil à éviter : c’est la brutalité, la bassesse, la trivialité; on finit par n’être plus éloquent, à force d’être terre à terre; on fait du rendu qui écœure par son exactitude même. »
Collier et Spatz Leighton conseillent de ne pas se laisser émerger par sa propre façon de parler dans les dialogues. Il faut s’assurer de donner à chacun de nos personnages des expressions fétiches. « Lorsqu’elle parle, une personne « chante » d’une certaine façon, elle a un registre et une cadence qui lui sont propres. Amusez-vous à imiter la façon de parler de quelqu’un sans prononcer un seul mot, simplement en employant des syllabes dépourvues de sens. Vous découvrirez que l’absence de mots ne vous empêche nullement de rendre une bonne imitation et même de communiquer certaines émotions. »
Chaque personnage aura donc sa propre façon de parler. Certaines utiliseront des mots longs, d’autres des courts. Chacun aura son mélange typique. Une fois que vous aurez identifié l’air et la cadence qu’emploiera chacun de vos personnages, vous aurez plus de facilité à l’entendre dans votre tête ou en lisant ses répliques à voix haute.
Collier et Spatz Leighton, Votre premier roman. Comment l’écrire et le publier, 1991.
Pierre Tisseyre (dans L’Art d’écrire, 1993) mentionne qu’il faut se garder de vouloir être vrai, « mais donner l’impression qu’on l’est. On réussira un dialogue si, au lieu de répéter exactement les mots qui ont été échangés, on écrit ceux qui auraient dû être prononcés si les protagonistes avaient eu le temps de réfléchir. C’est ce qu’on appelle l’esprit de l’escalier. » Et l’auteur d’ajouter : « un autre piège, lié au souci d’exactitude, consiste à dire en 50 mots ce qui pourrait être dit en 25 mots ou moins. »
Trop peu ou trop de dialogues
Les romans, en règle générale, contiennent beaucoup de dialogues, parce qu’ils rendent l’histoire dynamique. Ils permettent de limiter les longues tirades narratives, ce qui crée une sorte de suspension dans la lecture du récit. Cela permet aussi de raviver l’intérêt du lecteur, de le distraire.
Lire que quelqu’un a fait ceci, puis cela, peut rapidement devenir ennuyeux. Par contre, les conversations de quelqu’un peuvent être très intéressantes (…).
Collier et Spatz Leighton, 1991.
« La présence d’un court dialogue dans une page de livre est plaisante non seulement à l’œil, mais aussi à l’esprit. On passe du statique à l’actif, le tempo s’accélère, le murmure trop souvent monotone de l’auteur fait place à des voix claires, différentes, variées et surtout vivantes. À la fois coup de projecteur et coup de clairon, le dialogue réveille le lecteur qui s’endormait doucement, bercé par sa propre voix qui épousait la cadence et le rythme voulu par l’auteur. » (Pierre Tisseyre, dans L’Art d’écrire, 1993)
Toutefois, si le dialogue reste un outil formidable, il est nécessaire de le manier avec précaution, afin que celui envisagé ait sa juste place dans le texte et procure toujours l’effet souhaité. En effet, dans le doute, il vaut mieux s’abstenir.
Conclusion: toujours du travail d'écriture!
Laissons la conclusion à Albalat (dans L’art d’écrire enseigné en 20 leçons) : « En un mot, pas de constructions phrasées, pas de tournure guindée, pas de moule littéraire; dégagez la phrase pour lui laisser la spontanéité, l’allure vive, l’aisance du moment, le fouettant et l’imprévu de la réplique; mais que le dialogue soit cependant tenu, manié avant tact, sentant encore le style, non le style narré, explosif et appliqué, mais un style discret, une intention d’éloquence qui porte; et qu’on sente les rênes sans voir la main. » (…)
Pour réussir un dialogue, il faut le châtier le plus possible, retrancher le plus de mots qu’on peut, viser la concision, varier les tournures, se demander comment on dirait cela à haute voix, couler ses phrases dans le moule parlé.
Antoine Albalat
Mise en page et montage de l’image: Ch@t Botté
2 Commentaires
Voilà une lecture fort instructive pour qui se sent pousser l’envie d’écrire. Ce n’est donc pas si simple!
Merci pour votre commentaire Marcel. En effet, écrire des dialogues n’est pas simple.
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