Champagne et Canada

Champagne et Canada

René Gobillot (1882-1978) était historien. Il a été conservateur du Musée de Chartres et membre de la Société historique et archéologique de l’Orne et de la Société percheronne d’histoire et d’archéologie. Il a tenu des conférences, écrit de nombreux articles et quelques ouvrages historiques. La BnF (Bibliothèque nationale de France) liste 43 ressources de cet auteur, dont 39 œuvres textuelles. Parmi ces œuvres, quelques titres ont attiré notre attention : Les premiers martyrs du Canada (1935) ; L’Émigration percheronne au Canada (1928) ; L’apport champenois à la colonisation du Canada (1932).

Mais pourquoi donc nous intéresser à René Gobillot ? C’est à cause, ou plutôt, grâce à son texte intitulé Champagne et Canada paru dans Le Bulletin des recherches historiques de 1955. Née en Champagne, vivant au Québec depuis quelques années et ayant écrit un roman historique sur l’expédition du tout nouveau lieutenant-général de la Nouvelle-France, Pierre Dugua de Monts, pour installer une colonie française en Acadie, ce titre ne pouvait que nous interpeller. Et sa lecture était enrichissante.

Que dit René Gobillot ?

Il vante la Champagne, bien sûr, notamment ses vignobles. Il fait l’éloge de ses églises :

Si le paysage champenois n’offre pas toujours en toutes ses parties, sauf sur les confins, la fraîcheur de bien d’autres, il possède par contre un rare et enviable trésor dans ses églises rurales qui sont d’une qualité peu commune. De l’époque romane à la Renaissance, il n’est pas de siècle qui ne soit représenté dans ces sanctuaires de campagne et souvent par de vrais petits bijoux : basilique de Notre-Dame de l’Épine, églises d’Orbais l’Abbaye, de Saint-Amand-sur-Fion, églises de l’Aube, prodigalement riches de vitraux et de sculptures, églises de Châlons-sur-Marne, de Troyes, de Reims.

Gobillot, 1955, p. 18

Il dit que les Champenois sont tenaces et volontaires et que cette volonté se retrouve dans les personnages « de premier plan que la Champagne a fourni au Canada » (Gobillot, 1955, p. 18). Si la Champagne a envoyé peu de colons au Canada, car il n’y a pas eu d’émigration champenoise organisée, elle en a envoyé des illustres.

D’abord ce Jessé Fléché, prêtre originaire de Lantage, au diocèse de Langres, qui, accompagnant Poutrincourt, débarqua en Acadie, dont il fut un des premiers évangélisateurs.

Et Poutrincourt lui-même ne pourrait-il être revendiqué par la Champagne, puisque ce brave gentilhomme picard tenait de Jehanne de Salazar, sa mère, la baronnie de Saint-Just ?

Sa mission d’ailleurs fut de courte durée et se termina moins tragiquement que celle du jésuite Anne de Noue, de vieille famille champenoise, qui périt en 1646, perdu dans les neiges, au cours d’une des terribles « poudreries » de l’hiver canadien.

Gobillot, 1955, p. 19

Et Gobillot de citer encore : Paul Chomedey de Maisonneuve, né non loin de Troyes en 1612 ; Jeanne Mance, née en 1606 à Nogent-le-Roi dans le diocèse de Langres ; Marguerite Bourgeoys, née à Troyes en 1620 ; Jean Talon, né à Châlons-sur-Marne vers 1625.

Mais attardons-nous sur Poutrincourt

Poutrincourt était un gentilhomme picard, 4e fils de Florimond de Biencourt et Jeanne de Salazar. Il est né en 1557 et est décédé le 5 décembre 1615.

Il fut d’abord destiné, en sa qualité de cadet, à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, comme son oncle Jacques[1], mais il ne devait jamais montrer la moindre hâte ni le moindre penchant à prononcer ses vœux. En présence de cette tiédeur, on se garda bien d’essayer de l’influencer. Un incident s’était produit dans la famille qui éloignait par avance toute idée de contrainte morale. L’un de ses oncles maternels, Annibal de Salazar, avait fait profession à seize ans, mais quelque temps après, il avait déclaré qu’il avait agi sous la pression de ses tuteurs. Il avait obtenu une sentence de sécularisation le 24 novembre 1563, à laquelle le cardinal de Ferrare, légat en France, n’avait pas été étranger ; il avait quitté l’Ordre et était entré au service du Roi[2].

Huguet, 1932, p. 37

[1] Jacques de Biencourt était entré dans l’Ordre en 1545, sous le magistère de Jean d’Omédès.

[2] Annibal de Salazar, fils de Louis de Salazar, enfant d’un premier lit de Jean de Salazar, fut chambellan du duc de Nevers et gouverneur de Clamecy. Né en 1527, il épousa Anne de Charny, et mourut en 1574.

Jean de Poutrincourt a hérité de sa mère, Jeanne de Salazar, la baronnie de Saint-Just, en 1610, peu de temps avant son troisième voyage en Acadie : Saint-Just, arrondissement d’Épernay, canton d’Anglure, au confluent de la Seine et de l’Aube. C’est également à cette époque que Poutrincourt est nommé Vice-Roy du Canada par Henri IV. Mais, aucun brevet original ne confirmant cette nomination et Champlain ne l’ayant pas relevé dans ses écrits, il serait facile de mettre en doute le prestigieux titre, explique Huguet (1932).

Lors de ce troisième voyage en Acadie, un autre Champenois accompagne Poutrincourt, à savoir le missionnaire Jessé Fléché, tandis que les jésuites prévus pour le voyage par le Roi ont été priés de rester à quai. Il est de notoriété que Poutrincourt ne portait pas dans son cœur les jésuites en qui il n’avait aucune confiance.

Arrivé à Port-Royal début juin 1610, Poutrincourt retrouve le sagamo Membertou qui reçoit le baptême de l’abbé Fléché le 24 juin 1610. Membertou est le premier micmac à être baptisé. On lui donne le nom de Henri.

Il donne sa vie pour la Champagne

Si Poutrincourt est devenu Champenois par héritage, c’est en Champagne qu’il laisse sa vie. Il y périt en décembre 1615 alors qu’il combattait pour reprendre Méry-sur-Seine. Il avait 58 ans. Lors du même évènement, son fils Jacques a été fait prisonnier. Charles de Biencourt, le fils cadet, demeurait en Acadie avec pour héritage les terres et propriétés du Nouveau Monde de son père. Poutrincourt avait en effet quitté définitivement la colonie avec les colons après les pertes subies par l’attaque du capitaine Argall en 1614.

Sur le premier voyage de Poutraincourt, avec Pierre Dugua de Mons et Champlain :

TRAVAUX CITÉS

Gobillot, René (1882-1978). Œuvres. BnF Data. https://data.bnf.fr/fr/13092133/rene_gobillot/

Gobillot, R. (1955). Champagne et Canada. Le Bulletin des recherches historiques, 1(61). https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2657606

Huguet, A. (1932). Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie. Bibliothèque nationale de France. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54575467/texteBrut

Illustration : Carte de la province française de la Champagne en 1789 et les provinces adjacentes- montrant les relations entre la province pré-révolutionnaire et les départements de 1790. Récupéré sur https://commons.wikimedia.org

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