L’art de l’impôt

L'art de l'impôt

Qui peut citer, un peuple, un État, une nation qui, dans les temps anciens ou plus proches de nous, fut durablement prospère ? Il arrive toujours un moment où, ses dirigeants manquant de lucidité politique ou bien l’environnement se transformant de façon défavorable, les caisses viennent à se vider. Si tenter de s’accaparer le trésor de son voisin plus faible fut le réflexe salva teur des sociétés dites primitives, l’emprunt devint la norme dans les sociétés dites modernes. Hier auprès de familles puissantes, aujourd’hui auprès des institutions financières internationales.

Cela ne revient cependant qu’à repousser le problème, car emprunter a nécessairement un coût. Hormis certaines exceptions que l’Histoire n’a pas manqué de relever, où sous prétexte d’un changement de régime politique il est refusé d’honorer la dette contractée par des prédécesseurs destitués, le débiteur se doit de respecter ses engagements s’il veut garder la confiance de ses créanciers et pouvoir recourir à des emprunts ultérieurs. Ce qui n’est pas une mince affaire puisqu’au montant de la somme empruntée s’ajoute celui des intérêts dont le taux dépend de la confiance dont l’emprunteur bénéficie.

Il demeure qu’une caisse ne doit pas rester éternellement vide. Qui ne parvient pas à la remplir y perdra son poste, voire sa tête ! S’y employer reste par conséquent une préoccupation constante de tout dirigeant. Faute d’autres ressources, que pourra-t-il faire sinon créer une taxe nouvelle ou augmenter l’assiette d’un impôt existant ? C’est alors que son inventivité ne connaît plus de limites.

C’est la recherche à laquelle s’est livrée Julie des Quatre-Moulins quand la mauvaise humeur l’a prise au moment de remplir sa propre déclaration d’impôt. Si vous avez un moment à m’accorder, je me propose de vous en faire part.

Il y a longtemps

Julie découvrit qu’au XIIe siècle, l’Empire byzantin, sous la domination des Commène, osa instituer une taxe sur les cheminées. L’idée fut reprise au XVe siècle au Danemark et au XVIIe siècle en Angleterre. Chaque foyer, au sens propre du terme, c’est-à-dire chaque feu fut soumis à un impôt spécifique. C’était somme toute l’ancêtre de notre taxe d’habitation.

Outre-Manche, les habitants se montrant peu coopératifs pour s’en acquitter, des collecteurs furent missionnés pour entrer dans les demeures afin de compter le nombre des pièces imposables, puisque dotées d’une cheminée. Ce qui provoqua des manifestations violentes de rejet. Guillaume III, après avoir envahi l’Angleterre, s’empressa, en 1688, d’abolir cette taxe impopulaire. Pour la remplacer, 7 ans plus tard, par une nouvelle taxe sur les fenêtres. Il était plus aisé de les compter depuis l’extérieur.

La taxe sur les portes et fenêtres

En France, il fallut attendre l’année 1798 pour que le Conseil des Cinq-Cents s’empare de l’idée à son tour. La loi du 4 frimaire an VII (24 novembre 1798) établit une taxe sur les portes et fenêtres. Son examen donna lieu à des débats houleux et à des échanges très vifs. Ses opposants la comparèrent à un impôt inique sur la pureté de l’air et sur la lumière du jour. Ils dénoncèrent une mesure nuisible à la santé et donc à la vie. Ils la qualifièrent de surtaxe injuste pour les « manufacturiers dont les ateliers ont besoin d’être extrêmement éclairés et aérés ». Ils la présentèrent comme étant une mesure désastreuse.

Le député des Basses-Pyrénées Laussat n’hésita pas à en dire tout le mal qu’il en pensait :

N’en jugez point par les beaux quartiers de Paris, mais parcourez les villes notables des départements (…). Avez-vous songé à l’effet infaillible que produirait à la longue, sur les loyers, cet impôt ? La concurrence augmentant sur les petits loyers, ils hausseraient de prix ; cette même concurrence diminuant sur les loyers considérables, il arriverait que les riches locataires resteraient magnifiquement logés à meilleur marché. Vous vouliez frapper l’opulent et vous frapperiez le nécessiteux (…). Le nombre des fenêtres (…) tient au goût régnant de l’architecture ; là, à la commodité des distributions ; ailleurs, à des accidents de localité, comme l’obscurité d’une rue ou la symétrie commandée d’une place. Le nombre des fenêtres dépend aussi beaucoup du climat et des mœurs.

Laussat

Les partisans ne manquaient pas non plus d’arguments. Ils soutinrent que la taxe porte avant tout sur le riche qui pouvait s’offrir un appartement vaste et éclairé, ayant de larges ouvertures sur le jardin, la cour intérieure ou la rue. Ils clamèrent qu’elle ménage le pauvre qui doit se contenter d’un appartement « rétréci et obscur ». Plus les occupants sont nombreux moins le tarif est élevé. Plus l’ouverture est à un niveau inférieur plus elle est taxée chèrement, affirmèrent-t-ils.

Un glissement vers l’impôt de répartition

N’étaient en réalité imposables que les ouvertures, portes et fenêtres, éclairant ou aérant les parties habitables. Étaient par conséquent exonérées les ouvertures de tous les locaux servant à l’agriculture, les remises, les caves non considérées comme magasins, les vitraux placés au-dessus des portes, l’œil de bœuf ne donnant pas sur une partie habitable. Échappaient à la loi les bâtiments publics, civils, militaires et religieux, ainsi que les écoles et les hospices.

Le dérisoire produit de cette taxe conduisit à une aberration supplémentaire. Elle fut transformée en un impôt dit de répartition par la loi du 13 floréal an X (3 mai 1802). Des contingents furent attribués aux préfets qui les répartirent entre arrondissements puis par les sous-préfets entre les communes. Les fonctionnaires se basèrent sur le produit de l’ancien impôt et sur leur connaissance des lieux. Il revint aux maires la douloureuse tâche d’opérer la répartition entre les habitants. Une loi complémentaire du 25 mars 1803 exempta les manufactures ; pas les magasins, ni les boutiques et ateliers.

La Révolution de 1830 ayant trouvé des caisses vides, l’idée de revenir à un impôt de quotité s’imposa. On y espérait une rentrée fiscale plus profitable en raison des nombreuses constructions nouvelles opérées depuis 1802 qui avaient de façon significative accru le nombre des fenêtres taxables selon les tarifs de la loi d’origine. Le calcul s’avéra bon : la contribution de l’année 1831 s’en trouva triplée. Le mécontentement augmenta dans les mêmes proportions. Si bien que le système de répartition fut rétabli le 21 avril 1832.

Malgré les critiques

Auguste Blanqui, auteur d’un Mémoire sur la situation des populations rurales de la France, s’insurgea contre le sort réservé aux ouvriers. Il nota qu’en 1835, dans les villages où l’espace ne manque assurément pas, il était à déplorer d’innombrables logements qui sont « privés d’air et de lumière pour échapper à la taxe des portes et fenêtres ». Il souligna que, pour s’en exonérer, des propriétaires n’avaient pas hésité à murer certaines fenêtres, en particulier les fenêtres à meneaux que certains contrôleurs trop zélés ne comptaient pas pour une seule ouverture, mais pour quatre ou six selon le découpage architectural.

Les critiques s’intensifièrent. En 1886, l’abrogation pure et simple de cette taxe fut réclamée au motif que, selon le journaliste Armand Malaval, elle était injuste, arbitraire et onéreuse à percevoir.

Voici ce qu’il écrivit dans Le conseiller des contribuables et des consommateurs :

Que l’on fasse opérer le recensement d’une vaste maison par cent agents de l’administration, (…) chacun ne trouvera jamais le même nombre d’ouvertures (…). Ici, l’arbitraire règne en maître. » Et ceci encore : « Le temps que les agents du Trésor sont obligés d’employer à la constatation de cette matière imposable, (…) j’estime qu’un agent (y) consacre le quart de son temps. Le nombre des contrôleurs pourrait donc être diminué dans la même proportion.

Blanqui

Rien n’y fit. Néanmoins, pour reporter sur d’autres la colère des assujettis, le gouvernement décida de permettre aux communes d’apporter à ces mesures toutes améliorations jugées nécessaires. Il fallut attendre l’année 1926 pour que cet impôt grotesque disparaisse.

 

Le temps a manqué à Julie pour dénicher d’autres exemples dans notre monde contemporain. Nul doute qu’un chercheur perspicace en trouverait. Libre à chacun de s’y pencher et, pourquoi pas, d’en faire part ici.

TRAVAUX CITÉS

La France pittoresque, numéro 35

Illustration : Pieter Brueghel le Jeune, Paying the Tax (The Tax Collector) (1620-1640). Récupéré sur https://commons.wikimedia.org

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