Les pestiférés

Les pestiférés

Les populations confinées, le port d’un masque obligatoire, l’économie à l’arrêt, des données alarmantes diffusées à profusion par les médias. La peur partout.

Nous avons eu peur. Nous sommes certainement encore inquiets… Que dire du temps de la peste ?

Des origines

Venu de l’Asie lointaine et mystérieuse, disaient ceux qui croyaient savoir, ce fléau fit son apparition en France en trois vagues successives parfaitement connues à défaut d’avoir été maîtrisées : 1348, 1499 puis 1509. Froissart dresse de la peste de 1348 ce tableau terrifiant : « la tierce partie du monde mourut ».

Pourtant, dès le XIVe siècle, la Faculté, dont tous les membres n’étaient pas sous l’influence des idées superstitieuses du moment, avait été consultée. Une première fois par Philippe de Valois qui commanda une consultation, ou compendium, à son responsable de l’instant, le chanoine Beato Desiderio. L’auguste assemblée se réunit à Notre-Dame et rendit un Traité de l’épidémie, rédigé par les maîtres du Collège des médecins de la faculté de Paris. À côté d’hypothèses dans l’air du temps, tels « les malins aspects des planètes », les éclipses de la lune et du soleil, les passages des comètes qui ont toutes le pouvoir de réveiller la peste, on y lit des mises en garde pertinentes visant ceux qui « suivent un mauvais régime, qui abusent d’un coït exagéré », qui s’en trouvent donc fragilisés et par conséquent plus exposés. Suivaient des prescriptions tout à fait raisonnables, comme la purification de l’air au moyen de fumigations faites avec des bois odoriférants, l’aération des lieux d’habitation et leur aspersion d’eau de rose et de vinaigre, l’interdiction de manger des légumes verts, la préférence à donner au poisson plutôt qu’à la viande et l’absorption d’un morceau de pain trempé dans du vinaigre avant de sortir.

Des signes

Selon certains sachants du moment – ainsi qu’on le dirait aujourd’hui – des signes prémonitoires indiscutables annonçaient l’arrivée de l’épidémie. Si des grenouilles sont trouvées, en tas, présentant des taches noires sous la langue, c’est qu’elle est imminente, affirmait Guy de la Brosse en 1623. Si le nombre des crapauds augmente et que les grenouilles ont le dos gris et le ventre jaune, si les insectes de tous genres pullulent et que les puces et les poux démangent, si les herbes et les plantes putrides, tels les potirons et les champignons, poussent à foison, c’est que l’épidémie est proche, écrivait de Lampérière dans son « Traité de la peste ». L’un et l’autre ne faisaient que se référer à François Valleriola qui soutenait, déjà en 1566, qu’il est sage de faire son testament si les femmes et les bêtes ne mènent pas leur bébé à terme, si les animaux entrent en putréfaction, si la mortalité des animaux croît de façon importante, si les taupes désertent leurs trous et les oiseaux leurs nids, si les oies en marchant vont la tête penchée vers le sol, si les poissons sautent hors de l’eau pour mourir, si les feux follets abondent, si les étoiles scintillent et que le ciel se pare de couleurs orangées au crépuscule.

Les observations faites par les hommes les mieux avisés avaient conduit à déceler d’autres signes précurseurs. À les entendre, annonçait de façon certaine l’arrivée rapide de la peste le fait qu’un chien meure après qu’on lui ait donné à boire de la rosée recueillie avant le lever du jour. Ou le fait qu’une brebis s’écroule après avoir brouté l’herbe. C’est parce que l’un et l’autre ont succombé après avoir respiré les odeurs pestilentielles venues de la terre. La peste remonte en effet du plus profond du sous-sol ; ce qui provoque de violents tremblements de terre annonciateurs de l’arrivée du fléau.

Savait-on quelque chose?

De toute évidence, tous ces « experts » ne savaient rien. Ils savaient seulement que les épidémies de peste étaient récurrentes et dévastatrices et qu’il fallait en avoir peur. Depuis l’aube des temps, faute d’une autre explication, elles étaient attribuées à la colère des dieux qui voulaient punir les hommes pour leurs crimes commis sur terre. On priait, on célébrait des offices, telle la messe pour la peste instituée par le pape Clément IV. Bref ! Les spécialistes de la question prédisaient tout et n’importe quoi.

Certains, jugeant le moment favorable, surent en tirer le meilleur profit. Ils prescrivirent, le plus sérieusement du monde, les préservatifs les plus divers et, surtout, les plus coûteux. Tels prônèrent l’ingestion de poudres de turquoise, d’améthyste ou d’émeraude. Tels autres le port autour du cou d’une pièce de licorne sertie d’or ou d’argent, ou d’un petit tube contenant du mercure. On racontait que le pape Adrien gardait sur le cœur un sachet d’arsenic. D’autres encore préconisaient d’avoir sur la poitrine un peu de safran mêlé à un blanc d’œuf afin, juraient-ils, « d’accoutumer le cœur peu à peu au venin ».

Heureusement, il y en eut de plus sérieux qui, en avance sur leur époque – on est au XIVe siècle – conseillèrent à ceux qui devaient sortir d’« aspirer le moins d’air qu’il leur sera possible » et de « voiler les conduits de la respiration ». Enfin et surtout, ils préconisèrent de se tenir à l’écart des malades, car « l’infection de l’air corrompu et empoisonné, exhalé par la respiration des malades, se communique » aux personnes saines.

Des mesures

C’est en Italie, dans la cité des Doges, si l’on en croit Molmenti dans son récit “La vie privée à Venise”, que furent prises, lors de l’épidémie de 1348, les premières mesures sanitaires dignes de ce nom en vue de détourner le mal. Tout ce qui entrait dans la ville en provenance de zones contaminées était désinfecté par fumigation et nettoyage au vinaigre. Rien de cela en France. À l’exception d’une ordonnance prise à Béziers en 1436 qui ordonnait de ramasser les ordures déposées dans les rues et interdisait « la décharge du ventre et de l’urine par les rues. »

Les quelques dispositions sensées qui pouvaient être prises ne l’étaient généralement qu’après que l’épidémie se fut déclarée. Dans certaines villes, il était ordonné de tuer les chiens et les chats, de fermer les lieux où on danse et ceux où on boit. Il était fait défense de tenir des assemblées. Il était conseillé d’éviter de sortir dans les rues, en particulier de nuit, car l’air est mauvais. En 1463, la municipalité d’Albi plaça des gardes aux portes de la ville pour en empêcher l’entrée aux personnes et aux marchandises venant de zones où l’épidémie s’était déclarée. À Amiens, en 1464, il fut fait obligation au fossoyeur de changer de vêtements avant de regagner son logis après l’inhumation d’un pestiféré. Les habitations contaminées durent être signalées par une marque distinctive.

Ailleurs, les malades furent regroupés dans des baraquements en dehors de la ville. À Paris, une ordonnance de 1510 contraignit les occupants d’une demeure infectée de placer sur une fenêtre « une botte de paille et de l’y laisser encore pendant deux mois après que la maladie aura cessé. » En 1531, toujours à Paris, c’est une croix de bois qu’il convint de présenter sur la fenêtre de la maison contaminée et les malades ne furent autorisés à circuler dans la ville qu’à la condition de tenir à la main un bâton de couleur blanche. En outre, interdiction leur était imposée de pénétrer chez le boulanger, le boucher et le charcutier. Quant aux vagabonds, ils furent expulsés de la cité.

Déjà était retenue l’idée que l’isolement des malades était la première précaution à prendre. À défaut, il était procédé à l’enfermement contraint dans des lieux à l’écart de la ville. La municipalité de Lyon alla jusqu’à imposer, en 1582, l’obligation de déclarer l’infection. À cela s’ajoutèrent des mesures opportunes comme la désinfection des vêtements, l’abattage des animaux susceptibles d’être des agents de propagation, le nettoyage des rues. Fut exigée de la part des gens qui se déplaçaient la présentation d’une bullette, c’est-à-dire d’un certificat attestant qu’ils ne venaient pas d’une région infectée.

Hum! La gracieuse bullette de jadis est devenue le barbare pass sanitaire d’il y a peu!

 

TRAVAUX CITÉS

Recueil général des Anciennes Lois Françaises, par MM. Isambart, député, Decrusy, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, et Taillandier, conseiller à la Cour royale de Paris, paru en 1830.

La revue « La France pittoresque » en son N° 42.

Illustration : Musée des Beaux-Arts de Quimper. Épidémie de peste survenue à une date non précisée, mais au Moyen-Âge, à Elliant (Finistère) selon une tradition orale reprise dans le Barzaz Breiz de Théodore Hersart de la Villemarqué. Récupéré sur https://commons.wikimedia.org

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