Comme je l’écrivais dans un précédent article intitulé Les archives de la Bastille, le destin d’Étienne Vinache a servi de fil conducteur à mon dernier roman : La tisanière, vendu en ebook sur ce site et en format papier. Pour parfaire la connaissance du personnage dont il est question, plongeons-nous à présent dans les archives de la Bastille.
Rappelons au préalable que toutes les archives de la Bastille n’ont pas été retrouvées et, surtout, que leur contenu est nécessairement sujet à caution puisqu’elles sont dues à la plume de personnes assujetties au pouvoir royal et parfois impliquées personnellement dans cette affaire.
Les enquêtes de Socquart
Les premiers documents sur lesquels nous nous arrêterons ont trait aux interrogatoires auxquels le commissaire Toussaint Socquart a procédé, dès le 16 février 1703, à la suite des dénonciations faites par la cuisinière Suzon et la servante Jeanne Desmoulins. Toutes deux ont déclaré avoir depuis longtemps eu l’intention de dénoncer à la justice les actions de « mauvais commerce » commises par leur maître qui recevait des juifs et des orfèvres. Elles ont ajouté en avoir été empêchées par celui-ci. En ayant eu connaissance, il leur aurait donné 30 pistoles pour acheter leur silence et promis de leur trancher la tête si elles mettaient leur projet à exécution. À la suite de ces dénonciations, Étienne Vinache et son épouse adressèrent le lendemain une lettre au lieutenant criminel, le marquis d’Argenson, afin de se plaindre de telles allégations, tant calomnieuses qu’infondées, qui viennent « ternir leur réputation ».
L’enquête qui suivit fut diligentée par le même commissaire Socquart. Il s’attacha à recueillir de nombreux témoignages. D’autres domestiques, notamment le valet de chambre Lefoul et le cocher Claude Duparcq, affirmèrent que la Suzon et la Desmoulins étaient de « mauvaises commères », des débauchées en qui on ne pouvait avoir aucune confiance. Ne disaient-elles pas avoir trouvé là le moyen de « faire fortune » ? De fait, quelqu’un soutint qu’elles auraient reçu 10 louis d’or de la part du palefrenier de monsieur de G. (nom difficilement lisible) pour qu’elles dénoncent les Vinache. On apprend également qu’Anne Martinon, femme de chambre de madame Vinache, déclara, sous serment, savoir que le dénommé Touviacq, « quand il a des bagues, ou quelques morceaux d’or rompu qui viennent des anneaux de bagues, il les fait fondre ». Edme Thuriat, artiste , entendu à ce sujet, déclara n’être entré au service de monsieur Vinache que pour l’épauler dans ses activités de médecine et qu’il le faisait par charité. Ce disant, il insista sur le « libertinage et la débauche de ladite Suzon ». Thuriat reconnaît cependant avoir travaillé « quelques fois de la joaillerie, ayant acheté quelques bagues et, en ayant démonté les diamants, (fait) fondre les anneaux et bagues d’or ». Plus tard cependant, il se joindra aux accusateurs de son maître.
Un procès-verbal daté du 30 juillet 1703 atteste que Socquart s’était rendu dans un village où avait servi la Suzon et qu’il avait reçu confirmation de la vie débauchée de celle-ci. S’étant également rendu au village de Coubron, où les Vinache possédaient une résidence de campagne, il dit avoir rencontré plusieurs personnes, dont le vicaire et Pierre Grangé, compagnon tailleur. Elles ont toutes affirmé que Vinache exerçait la médecine par charité pour le bien de tous et que ses domestiques n’avaient pas lieu de se plaindre de lui.
Une affaire d’importance
Un billet manuscrit daté du 17 novembre 1703, rapporté ci-dessous, demandant de plus amples informations sur cette affaire montre qu’il ne s’agit pas d’une enquête anodine : il est de la main de monsieur d’Argenson, ministre d’État et lieutenant général de la police.
La fiche de police rédigée à cet effet, qui contient plusieurs feuillets retraçant la vie de Vinache et énumérant les nombreuses accusations portées contre lui, est accompagnée d’une note datée du 3 janvier 1704 : elle demande des ordres. La nomination des destinataires, le roi en personne et madame de Maintenon, atteste, s’il en était encore besoin, de l’importance de l’affaire.
Autre indice que l’affaire Vinache est une véritable affaire d’État : un mémoire de 6 feuillets, non daté et non signé, adressé à madame de Maintenon. Force détails lui sont donnés après quoi elle se termine par ces mots : « Si vous jugiez apropos Madame que jeust l’honneur d’entretenir monsieur de Chamillart sur tous ces faits je vous suplierois de my faire présenter. » On se souvient que Michel Chamillart est le ministre des finances et de la guerre du roi Louis XIV.
L'arrestation
Une première décision est prise. Elle fait l’objet d’une note rédigée à Marly le 8 janvier 1704. Monsieur Chamillart estime qu’il « semble que le meilleur party… est de dissimuler encore son commerce (et) d’attendre de nouvelles preuves. » Une nouvelle note du même, rédigée à Versailles le 31 janvier 1704, informe que le signataire a reçu le couple Vinache et précise ceci au destinataire, qui est monsieur d’Argenson : « Le Roy trouve bon que vous mandiez Vinache et que sans faire de procédure judiciaire vous n’oubliez rien pour découvrir la vérité. »
Étienne Vinache fut arrêté le 17 février 1704 et conduit à la Bastille.
Les aveux
Interrogé le 23 février par le marquis d’Argenson en personne, Vinache traça son passé et mentionna ses relations avec le duc de Chaulnes qui le fit venir en France. Il reconnut avoir exercé la médecine bien que ne possédant aucun titre l’y autorisant et avoir distillé des herbes médicinales pour en faire des liqueurs. Cependant, ne disposant d’aucun distillateur dans sa demeure, il affirma l’avoir fait chez un apothicaire dont il a oublié le nom. Il admit posséder des fourneaux dont il ne faisait un usage ni « dangereux ny suspect » mais nia s’adonner à la fonte des métaux précieux. Il finit toutefois par admettre avoir fondu de l’or mais que, lorsqu’il l’a fait, il n’en comprenait pas les conséquences et qu’il en demandait pardon au Roy. Il ajouta avoir appris cette pratique d’un jeune homme, autrefois garçon apothicaire, du nom de Thuriat, qu’il avait pris en qualité de domestique. Sur interrogation, il précise l’avoir engagé à la demande du duc d’Orléans afin de fabriquer les trois fourneaux incriminés. « Lui avons représenté qu’il y a de la contradiction » dans ce qui est dit, précise le procès-verbal.
Vinache admit plus tard avoir fait du commerce de toile de Hollande avec le juif Salomon et s’être rendu propriétaire, pour 33 000 livres, d’une partie des diamants du duc d’Orléans par l’intermédiaire de monsieur Ménager, secrétaire du Roy et député du commerce pour la ville de Rouen.
Bref, ses trafics étaient nombreux et variés et ses explications embrouillées. Tantôt, il reconnut les faits dont on l’accusait ; tantôt il les niait, s’agissant notamment de la fonte de l’or à des fins frauduleuses ou de supposés contacts avec des banquiers. Le reproche lui étant fait de ne pouvoir présenter ni livre, ni bordereaux, ni factures, il répondit avoir tort et faire « mieux à l’advenir » et s’engager à ce que sa femme « qui écrit fort bien les tiendra pour eux. »
Et Madame...
Madame Vinache fut interrogée chez elle par le marquis d’Argenson le 29 février 1704. Elle déclara s’appeler Marie Agnès Bullon, femme d’Étienne Vinache, agée de trente-cinq ans environ. Elle déclare avoir plusieurs enfants à charge et se trouver « grosse » ; ce qui est vraisemblablement la raison pour laquelle elle n’a pas été conduite au Châtelet ou à La Bastille pour y être entendue. Elle dit savoir que Thuriat travaillait à la confection des remèdes de son mari, tant à Paris qu’à la campagne, et l’avoir
occasionnellement vu fondre des métaux, mais ne pas savoir que c’était défendu. Elle ajouta n’avoir jamais vu son mari s’adonner à cette pratique. C’est pourquoi elle sollicita la libération de son mari qu’elle jurait accusé à tort.
Cette demande fut transmise à monsieur Chamillart (ici écrit Chamillard) par le marquis d’Argenson. On y apprend la motivation des accusations portées contre Vinache par ses domestiques.
La mort
Par note écrite à Versailles le 15 mars 1704, monsieur Chamillart retourne la demande de madame Vinache à d’Argenson en l’invitant à faire « ce que vous croirez qui convienne, mandez moi je vous prie en quel état est cette affaire. »
Puis arrive la nouvelle de la mort soudaine d’Étienne Vinache, « Napolitain, cy devant Soldat au régt Royal-Roussillon » survenue à la Bastille le 19 mars 1704 et des dispositions prises pour son enterrement effectué dans la précipitation le samedi 23 mars au cimetière de la paroisse Saint-Paul comme on le sait.
TRAVAUX CITÉS
Les citations et les extraits reproduits ici proviennent des volumes intitulés Archives de La Bastille, documents inédits recueillis et publiés par François Ravaisson, consultables sur le site Source gallica.bnf.fr de la Bibliothèque nationale de France.
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