Étienne Vinache a servi de fil conducteur à mon dernier roman : La tisanière, vendu en ebook sur ce site et en format papier. Deux précédents articles nous ont permis de parfaire la connaissance de personnage énigmatique. Voyons maintenant sa mystérieuse fin.
Par lettre datée du 23 mars, Chamillart apprend à d’Argenson avoir annoncé la nouvelle de cette mort au roi qui a approuvé la discrétion qui l’a accompagnée. Il donne les instructions suivantes : « Vous pourrez dans quelques jours faire entendre à sa femme qu’il est tombé malade et qu’ensuite il est mort dans le temps qu’on s’y attendait le moins. (…) Vous pourrez aussi dans le même temps lever la garnison qui est chez elle et la remettre en possession de tous ses effets ».
La vérité
La lecture des nombreux interrogatoires conduits par monsieur d’Argenson ou par les commissaires-enquêteurs diligentés par lui montre l’extraordinaire complexité des affaires menées par Étienne Vinache et, surtout, la multitude des personnes impliquées dans ces actions frauduleuses. S’il est question de l’exercice illégal de la médecine, de la pratique tout autant prohibée de l’apothicairerie, du trafic de toiles de Hollande, de la contrefaçon de bijoux ou du billonnage de monnaies, tout ceci ne pouvait avoir été accompli qu’en raison des personnes qui y trouvaient leur avantage. Cela va de l’orfèvre cupide au drapier accommodant, de la soubrette délurée à sa maîtresse prise de vapeurs, du bourgeois soucieux de faire fructifier son argent au gentilhomme impécunieux, du seigneur désireux de faire bonne figure à l’altesse souhaitant posséder un talisman qui favorise la chance aux jeux de l’argent et de l’amour. Mais encore du banquier peu scrupuleux au ministre en charge des finances de l’État obnubilé par le remboursement de la dette. Sur ce dernier point, les personnes interrogées n’en disent évidemment rien.
Sur la foi des déclarations faites, la liste des bourgeois concernés serait longue à dresser. Celle des nobles ne le serait pas moins.
Vinache s’est cependant perdu lui-même. Il eut incontestablement le tort de manquer de discrétion dans tout ce qu’il entreprenait. Qu’avait-il besoin d’étaler une fortune aussi rapide que colossale ? Pourquoi se targuait-il de soutiens haut placés ? Par son comportement irréfléchi, de complice avantageux, il était devenu un dangereux partenaire dont il fallait se défaire. Son élimination ne pouvait être que souhaitable.
Il demeure que les circonstances de sa disparition restent floues.
On sait ce qu’il a été annoncé à madame Vinache : une maladie aussi soudaine qu’imprévisible. Ce que vient contredire une note, ne portant aucune désignation du rédacteur, affirmant qu’il « s’est coupé la gorge dans sa prison. »
Mensonges ou omissions?
Que convient-il de penser de cette réflexion de Chamillart quand, ayant appris la mort de l’encombrant prisonnier, il répond à d’Argenson : « Je ne saurais me persuader que Vinache ait pris le party de se retirer si brusquement » ? N’aurait-il donc donné aucune instruction à ce sujet ?
On sait que Marie-Agnès Vinache n’a jamais cru à la mort de son mari. Cependant, prudente, elle attendit la Régence pour renouveler sa demande de libération d’Étienne. Une note provenant de La Bastille nous apprend qu’elle entreprit une nouvelle démarche en 1715. Cette archive retrouvée mentionne que « la femme du sieur Vinache demande que son mary soit mis hors du château de la Bastille où il est détenu depuis 12 ans sur ordre du Roy. ». Cette supplique fut transmise au Régent, le duc d’Orléans, accompagnée d’une lettre du marquis d’Argenson.
Cette dernière missive ne manque pas d’étonner. Le lieutenant criminel, qui a pourtant diligenté toute cette affaire qu’il est donc censé bien connaître, semble estimer à présent qu’Étienne Vinache a été injustement condamné et que sa libération peut être accordée. N’écrit-il pas que la « supliante » a été sage « d’avoir recouru à la Justice et l’autorité de Votre Altesse Royalle protectrice de l’innoçençe » ? Que faut-il aussi déduire de ces mots surprenants : « Il était honnoré de Votre Altesse Royalle qui connaissait son innoçençe. » ?
Quant à cette autre affirmation, elle est saisissante : « Il a (séjourné) douze ans comme criminel d’État a La Bastille ou on la toujours depuis fait passer pour mort affin d’empêcher que la supliante ne réclamasse sa liberté. » Ainsi, Vinache ne se serait pas suicidé ni même ne serait mort de mort naturelle en mars 1704 ?
Ce qui n’a pas été dit à madame Vinache, c’est que son mari a été enterré sous le nom d’Étienne Durand au cimetière Saint-Paul.
En fin de compte
Mais alors, que lui est-il arrivé ?
La mention manuscrite portée en marge de cette note datée du 1er novembre 1715 faisant référence à la demande de libération de son mari formulée par madame Vinache laisse planer le mystère : « Il est mort depuis plus d’une année. ». Monsieur d’Argenson l’ignorait-il ?
Le mystère persiste donc.
Si la mort naturelle par maladie, avancée par les autorités en avril 1704, est selon toute vraisemblance à écarter, ne peuvent plus être envisagées que l’hypothèse du suicide, avéré ou simulé, en 1704, ou celle de la détention prolongée à La Bastille jusqu’en 1713 ou 1714, suivie elle-même d’un décès aux circonstances inconnues.
La réponse se trouve dans un de ces feuillets éparpillés à tout vent par la fureur populaire, document à jamais disparu.
TRAVAUX CITÉS
Les citations et les extraits reproduits ici proviennent des volumes intitulés Archives de La Bastille, documents inédits recueillis et publiés par François Ravaisson, consultables sur le site Source gallica.bnf.fr de la Bibliothèque nationale de France.
Illustration : Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, N-2 (ARGENSON, René de Voyer de Paulmy marqui) . Récupéré sur https://gallica.bnf.fr/
Ajoutez un commentaire