Les archives de la Bastille

Les archives de la Bastille

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Fabuleux et tragique à la fois, le destin d’Étienne Vinache a servi de fil conducteur à mon dernier roman : La tisanière, vendu en ebook sur ce site et en format papier. Quoi qu’il puisse y paraître, ce livre n’est pas une biographie bien qu’il s’appuie sur de nombreux faits avérés et qu’il fasse référence à des personnages historiquement reconnus et indéniablement mêlés à l’intrigue.

Le personnage était en vérité si particulier qu’il m’a surpris plus que je l’aurais imaginé quand je me suis engagé dans cette entreprise d’écriture. Afin de mieux l’appréhender, je me suis lancé dans des recherches qui m’ont fait découvrir l’ampleur insoupçonnée de ses activités occultes. Elles furent véritablement extraordinaires.

J’aimerais donc à présent livrer ce que j’ai découvert dans la lecture des archives de La Bastille. Encore que ces archives soient très fragmentaires et qu’elles ne reflètent que ce qu’ont bien voulu en reconnaître les autorités policières et politiques empêtrées dans cette affaire gênante pour le pouvoir royal et pour elles-mêmes au premier chef. Certaines d’ailleurs, par leur réalisme et leur spontanéité, sont révélatrices.

Bien que parcellaires, ces archives ont le grand mérite d’exister. Qu’en soit remercié et félicité monsieur François Ravaisson, conservateur à la Bibliothèque de l’Arsenal, qui, conscient de l’importance des documents retrouvés, en fit le tri puis la publication dans un recueil édité en 1866 par les libraires Pedone-Lauriel et Durand, tenant boutique au numéro 9 de la rue Cujas à Paris. Le résultat de ses travaux fut imprimé dans l’atelier de A. Pillet au numéro 5 de la rue des Grands Augustins. Ce recueil est consultable à la Bibliothèque nationale.

Des documents qui faillirent disparaître

Dans l’introduction de son ouvrage, François Ravaisson décrit le parcours mouvementé de ces documents que la fureur populaire faillit faire disparaître à tout jamais. « Lorsque la Bastille fut prise en 1789, les vainqueurs se mirent à tout saccager, comme c’est l’ordinaire en pareille occasion », déplore-t-il. « On jeta dans les cours les meubles et une énorme quantité de papiers. On les y laissa exposés aux injures de l’air et des hommes », poursuit-il en maîtrisant mal l’émotion forte que l’on devine sous les mots. « Des curieux, des spéculateurs en autographes, dont il y avait déjà bon nombre, puisèrent largement dans le trésor abandonné à leur discrétion. Les uns étant poussés par l’envie de garder un souvenir de la conquête populaire, les autres par le désir d’un gain dont la légitimité était douteuse », précise-t-il avec une amertume croissante.

C’est avec soulagement qu’il relève que des personnes se sont émues de ce spectacle affligeant, ce qui a conduit les autorités responsables à écarter les spoliateurs. Mais aucune autre mesure ne fut prise. Les soldats et les gardes nationaux qui bivouaquaient dans les cours firent un usage trivial de ces feuilles qui jonchaient le sol. Certaines se retrouvèrent maculées de vin, d’autres servirent à emballer leurs ordures, d’autres enfin accompagnèrent des besoins naturels.

Il fallut attendre le 16 juillet pour que le Comité de l’Hôtel de Ville se décide à désigner un représentant, le citoyen Dussaulx, et trois commissaires avec pour mission de faire transporter ces amas de papiers à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés où venait d’être créé un dépôt d’archives et de documents publics. L’exécution ne fut pas immédiate, si bien que les documents continuèrent à traîner dans les cours et à servir aux utilisations les plus diverses. À tel point que le citoyen Hubert-Pascal Ameilhon, bibliothécaire de la ville de Paris, s’en émut et adressa, le 19 juillet, une demande pour les récupérer. Il ne fut pas entendu. Cependant, l’entrée de La Bastille fut dès lors interdite aux Parisiens. « La mesure était tardive et on avait déjà beaucoup pris », observe François Ravaisson avec désolation.

La Bastille dévoilée

Les documents dérobés servirent à composer des publications, telles La Bastille dévoilée, ouvrage paru en 1790 dont les auteurs présumés sont Louis-Pierre Manuel et Pierre-Hubert Charpentier, ou les Mémoires de la Bastille, « mémoires pour servir à l’histoire secrète du gouvernement français depuis le XIVe siècle jusqu’en 1789 », ouvrage de Pierre-Joseph Dufey paru en 1833. On ne retrouva jamais la plupart des originaux utilisés, à l’exception de ceux dont s’était approprié Beaumarchais qui résidait non loin de la forteresse. Il avait été dénoncé. La députation dépêchée n’en recueillit qu’un petit nombre.

Quand la demande pressante d’Ameilhon fut enfin entendue, les papiers retrouvés et ceux qui se trouvaient encore à la Bastille furent déposés à l’Hôtel-de-Ville de Paris. Une commission fut constituée afin de les étudier. La tâche étant colossale, le secrétaire des lieutenants de police, Duval, et le major du château, Chevalier, décidèrent de composer des dossiers séparés pour chaque prisonnier.

Le temps passa : certains commissaires furent guillotinés, d’autres furent déplacés. Ne resta bientôt plus que le zélé Ameillhon. Quoiqu’appartenant au clergé, il ne cessa pas d’être employé. Mieux encore, il reçut pour mission de regrouper tous les documents provenant du pillage des couvents détruits et des bibliothèques des émigrés, documents qui avaient été regroupés dans différents dépôts de Paris. En reconnaissance de son travail acharné, il fut nommé bibliothécaire de l’Institut. La promulgation du Concordat en 1801, qui rendait au clergé ses biens mobiliers et immobiliers, entraîna la suppression de la charge d’Hubert-Pascal Ameilhon qui reçut, en compensation, celle d’administrateur de la bibliothèque de l’Arsenal. Il y fit transporter les papiers de la Bastille qu’il avait soigneusement conservés. Mais, les moyens faisant défaut, il ne put poursuivre leur classement. Le tout fut remisé.

Le trésor révélé

Ce n’est qu’en 1840 qu’un employé de la bibliothèque de l’Arsenal, plus curieux que ses collègues, découvrit cet amoncellement de cartons desquels il exhuma des lettres de cachet qui le fascinèrent. François Ravaisson se plongea dans ce qu’il appela un trésor. Il consacra vingt années de sa vie à déchiffrer, trier, classer. Il prolongea ses recherches en allant consulter tous les établissements publics susceptibles de posséder des documents complémentaires et les archives des ministères de la Marine et de la Guerre. Il poussa ses investigations jusqu’à se rendre dans les ambassades d’Italie et d’Angleterre. Le résultat de ses travaux fit l’objet d’une publication, dont le premier volume parut en 1866.

TRAVAUX CITÉS

Les citations et les extraits reproduits ici proviennent des volumes intitulés Archives de La Bastille, documents inédits recueillis et publiés par François Ravaisson, consultables sur le site Source gallica.bnf.fr de la Bibliothèque nationale de France.

Illustration : Anonyme. (1750-1800. Datation en siècle: 2e moitié du 18e siècle). Forteresse de la Bastille flanquée de ses huit tours et possédant deux cours intérieures séparées par le bâtiment dit “Logement de l’État Major”. Actuel 4e arrondissement. Musée Carnavalet, Histoire de Paris. Récupéré sur https://commons.wikimedia.org

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