En 1603, un enfant montagnais, fils de chef, est confié à François Du Pont Gravé pour être amené en France. Champlain n’est alors qu’un simple passager. Il avait été invité à cette expédition par Aymar de Chaste, commandeur de l’ordre de Malte et gouverneur de Dieppe, nouvellement nommé titulaire du monopole du commerce des fourrures par Henri IV. François Du Pont Gravé, accompagné de Champlain, part de Honfleur sur la Bonne Renommée, le 15 mars 1603, pour faire la traite. Le navire rentre en France le 20 septembre 1603.
Premier que partir de Tadousac pour nous en retourner en France, un des Sagamo des Montagnez, nommé Bechourat, donna son fils au sieur du Pont, pour l’emmener en France, & lui fut fort recommandé par le grand Sagamo Anadabijou, le priant de le bien traiter & de lui faire veoir ce que les autres deux sauvages que nous avions remenez, avoient veu. Nous leur demandasmes une femme des Irocois qu’ils vouloient manger, laquelle ils nous donnèrent, & l’avons aussi amenée avec ledict sauvage. Le sieur de Prevert a aussi amené quatre sauvages : un homme qui est de la coste d’Arcadie, une femme & deux enfans des Canadiens.
Champlain, dans Laverdière, 1870, p.127
Lorsque Pierre-Georges Roy raconte cet évènement, il dit que Bechourat est un Sagamo des Montagnais, aujourd’hui les Innus, puisque Champlain lui-même, dans ses écrits, le nomme ainsi.
Lors du premier voyage de Champlain dans la Nouvelle-France, en 1603, Bechourat, sagamo montagnais qui résidait à Tadoussac, donna son fils à Pontgravé pour l’emmener en France. C’est sans doute ce jeune Montagnais qui fut tenu sur les fonds du baptême, le 9 mai 1604, par Alexandre de Vendôme et sa sœur, enfants de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées.
Roy, Pierre-Georges, 1940
Or, si Anadabijou est un Sagamo montagnais, Bechourat, encore nommé Besouat ou Tessouat selon Beaulieu et Ouellet (1993), ne serait pas Montagnais, mais Algonquin de l’Île. Pour les auteurs, Champlain s’est trompé d’ethnie. Toujours selon Beaulieu et Ouellet (1993), Bechourat était aussi appelé le Borgne de l’Île. Il était le chef des Kichesipirinis qui résidaient sur l’île Morrison ou île aux Allumettes.
Dans le chapitre IV de son quatrième voyage (Voyages publiés en 1613), Champlain racontera le bon accueil qu’il en reçut. C’est un des plus célèbres chefs algonquins dont les documents français de la première moitié du XVIIe siècle gardent la trace. Les Algonquins de l’Île occupaient une position stratégique sur la rivière des Outaouais. L’île Morrison est entourée de rapides et les Amérindiens qui descendaient vers les postes de la vallée du Saint-Laurent devaient y faire des portages. Tout comme les Montagnais de Tadoussac, les Algonquins de l’Île chercheront à bloquer la pénétration française vers l’intérieur du territoire, car cela risquait de miner leur position d’intermédiaires dans le commerce des fourrures.
Beaulieu et Ouellet, 1993, p. 115
Selon le Conseil tribal algonquin, les Kichesipirinis ou Peuple de la Grande rivière étaient appelés de plusieurs manières : Algoumequins de l’Isle, peuple de l’île aux Allumettes, Peuple de la grande rivière, Gens de l’Isle, Honkeronon (désigné ainsi par les Hurons), Algonquins de l’Île, Indiens de l’Île, Nation de l’Île, Kichesippiriniwek. Tessouat en était leur chef lorsque Champlain les rencontre en 1603.
Leur chef, Tessouat Le Borgne, fut l’un des premiers que Champlain rencontra en 1603 lors de son arrivée alors qu’il venait tout juste de remporter une importante victoire sur les Iroquois avec ses alliés. Tessouat fut durant plus de 50 ans un joueur important dans le commerce des fourrures et dans les relations avec les Français.
Anishinabe Nation
Toujours est-il que ce Sagamo, Bechourat, donne son fils au sieur François Du Pont Gravé pour qu’il le ramène en France. C’était la tradition de faire des échanges de jeunes gens, afin que chaque tribu apprenne à connaître les us et coutumes de celle avec qui il y avait accord.
Il y a bien eu un jeune garçon, appelé Petit Canada, qui s’est rendu en France en 1603. On le sait, parce qu’il a fini ses jours dans le palais royal de Saint-Germain où le Dauphin, futur Louis XIII, résidait. Le médecin du prince, Jean Héroard, tenait un journal quotidien de chacune de ses actions et il y est souvent question du Petit Canada.
Privé de sa liberté, le fils du Sagamo Bechourat ne tarda pas à tomber malade. On le transporta au château de Saint-Germain, où un appartement lui fut donné. C’est dans ce même château que madame de Monglat élevait le fils de Henri IV, le futur Louis XIII, alors âgé de 4 ans.
Roy, Pierre-Georges, 1940
Dans le journal de Jean Héroard, il est noté que, à plusieurs reprises, le Dauphin envoie son potage, des friandises et d’autres choses au Petit Canada.
Le 23, dimanche. – À huit heures levé, bon visage, gai, vêtu ; il avale ses bas de chausses disant : Voyez la belle jambe. Mlle de Ventelet lui hausse le bas et l’attachoit d’un ruban bleu à son cotillon ; il voit que le ruban tournoit un peu sur le derrière, il se prend à dire en souriant : Ho ! ho ! je pense vous voulez fai mon cu chevalier, puis le voyant encore plus en arrière : Ho ! ho ! mon cu est chevalier. À neuf heures et demie déjeuné sur la fenêtre du préau ; il voit des hommes qui passent, leur crie : Bonjou, Messieurs, je m’en vais boire à vous. À six heures il voit en passant le petit Canada à la fenêtre, malade, il lui fait porter de son potage.
Héroard, Jean, Mai 1604
Malheureusement, affaibli, certainement très triste, le Petit Canada meurt en date du 18 juin 1604. Les médecins n’ont rien pu faire pour lui sauver la vie. Le Dauphin s’est souvenu pendant longtemps de ce petit homme.
Le 15 novembre 1605, Héroard écrit au sujet de Louis XIII :
Le 15, mardi. – (…) Mené au Pecq et passé l’eau pour voir dans un grand bateau, un animal apporté du Canada par M. de Monts, de la grandeur d’un élan. Il y avait une petite barque faite à la mode du pays, avec du jonc, et couverte d’écorce d’arbre, teinte de rouge, faite de façon de gondole et ayant des avirons du bois du pays.
(…)
Le 15 novembre 1605, le Dauphin se ressouvient, à propos d’objets rapportés du Canada par M. de Monts, du petit Canada mort il y avoit dix-sept mois, le jour de la Fête-Dieu, de sa façon de prononcer, de la couleur de son habit bleu, de la forme de son bonnet, rond comme celui du feu Roi.
Héroard, Jean, Novembre 1605
Le jeune autochtone Petit Canada a ainsi effectivement existé. Mais, était-il le fils d’un Bechourat, Sagamo Montagnais comme le dit Champlain, ou de Tessouat, chef des Kichesipirinis, comme le disent des auteurs contemporains ? Est-ce que Bechourat et Tessouat ne sont qu’un seul et même homme et Champlain se serait trompé d’ethnie ?
Pour en savoir plus sur les relations de Champlain avec les chefs qu’il a rencontrés, un audio de Serge Bouchard à écouter : Ici Espaces autochtones. De remarquables oubliés-Tessouat (2016). Durée 53:52 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1001554/de-remarquables-oublies-tessouat-dit-le-borgne-de-lile
TRAVAUX CITÉS
Anishinabe Nation (2016). Kichesipirinis ou Peuple de la Grande rivière. https://www.anishinabenation.ca/la-nation-algonquine-avant-larrivee-des-europeens/kichesipirinis/
Beaulieu A., Ouellet R (1993). Champlain. Des sauvages. Coll. « Typo Histoire ». Éditions Typo
Héroard, J. (1601-1628). Journal de Jean Héroard sur l’Enfance et la jeunesse de Louis XIII. Tome premier, 1601-1610. Publié par MM. Eud. Soulié et Ed. de Barthélemy. Imprimeurs de l’Institut.
Laverdière, C.-H. (1870). Œuvres de Champlain. Université Laval. Seconde édition.
Roy, P.-G (1940). Des mots qui restent. Éditions Garneau.
Illustration : Licence Creative commons. Peinture Chef autochtone, Chippewa, l’Éclipse ou Wabumagoging Cornelius Krieghoff, 1849, 19e siècle, Huile sur bois, 22,3 x 16,5 cm, Don de Mr. David Ross McCord, M1878 © Musée McCord http://collections.musee-mccord.qc.ca/fr/collection/artefacts/M1878/
Ajoutez un commentaire