Naissance d’une Société de Plantation : la Louisiane

Naissance d'une Société de Plantation : la Louisiane

En Louisiane vivent des populations issues d’Amérindiens assimilés ou asservis, d’esclaves déracinés de leur Afrique, de colons européens -Français, Espagnols, Allemands, entre autres-, d’Acadiens déportés. Et, en Louisiane, de ces histoires et souffrances individuelles et collectives s’est épanouie une « merveille produite dans les mâchoires d’une force brutale et absolue » (Trouillot, 1998, dans Bonniol, 2013, p. 7), s’est révélé un « miracle de la créolisation » (Ibid.), s’est constitué, dans une alchimie complexe, un peuple de langue et de culture créole (Bonniol, 2011). À un moment donné de son histoire, la Louisiane s’est transformée en colonie de plantation et a ainsi commencé sa créolisation culturelle historique : son histoire « infinissable » (Ménil, 2009, p. 9), sa « dynamique évolutive de la créolité » (Benoist, 2012), son processus culturel de création de « l’Homme créole » (Benoist, dans L’Étang, 2019a).

Selon Wagley (1975), une société de plantation est une société esclavagiste du Nouveau-Monde qui se reconnait par les éléments suivants : monoculture intensive d’une plante tropicale, abondante main-d’œuvre déracinée d’Afrique, population locale décimée. Nous allons retracer ici quelques évènements relatant la naissance de la colonie de plantation de Louisiane.

Des origines de la Louisiane française

Fondée en 1682 par Cavelier de La Salle sous le régime de la Nouvelle-France, la « Grande Louisiane française », qui demeure loin, sauvage et sans métaux précieux pour enrichir immédiatement la métropole, n’intéresse guère les autorités françaises. Néanmoins, l’arrivée des Européens bouleverse la vie des Autochtones : maladies et guerres détruisent la population locale qui, d’environ 50000 âmes à l’origine, tombe à moins de 10000 après 20 ans d’occupation française (Leclerc, 2019).

Cavelier de La Salle assassiné en 1687, la guerre de la Ligue d’Augsbourg débutant en 1688, Louis XIV ne profite de la Louisiane qu’au traité de Ryswick de 1697 pour faire barrage aux Anglais et aux Espagnols. Cependant, les Français ne veulent pas s’établir dans une région démunie de tout et inhospitalière. Malgré les unions avec des Amérindiennes et l’arrivée de Filles de la Cassette, au moment du traité d’Utrecht en 1713, la population ne dépasse pas 400 habitants et les engagés n’attendent que de retourner en France après leurs 3 ans de service (Leclerc, 2019).

En 1712, Louis XIV, ruiné par la guerre de Succession d’Espagne, laisse à une compagnie privée le privilège du commerce.

Robert Cavelier de La Salle

Avec le décès de Louis XIV, un intérêt pour la Louisiane renaît. En 1717, la Compagnie d’Occident est fondée pour développer une économie basée sur les mines et sur la culture du tabac (Jacques-Côté, 2017). Puis, sous l’impulsion de l’économiste écossais John Law, la Compagnie des Indes est créée et absorbe la Compagnie d’Occident. Pour être rentable et satisfaire les actionnaires, la Louisiane est transformée en colonie de plantation.

La société louisianaise prend donc une nouvelle direction, puisqu’elle se détache du commerce des fourrures avec les Amérindiens pour se consacrer à l’agriculture.

Établissement de la nouvelle société

La Louisiane se transforme en société dont le moteur économique principal (les coureurs de bois participent toujours au commerce des fourrures avec les Autochtones) devient l’exploitation agricole : au nord, le blé domine; au sud, tabac, riz, indigo sont cultivés. Pour faire fonctionner sa nouvelle économie, il lui faut une main-d’œuvre nombreuse que l’on peut museler afin d’effectuer des travaux harassants en remplacement de la population locale décimée. Il faut également des colons pour administrer les exploitations agricoles et peupler le nouveau territoire, ainsi qu’une défense militaire pour se prémunir des révoltes internes et des attaques des Autochtones. La Compagnie des Indes recrute dès lors des immigrants, parfois de force, distribue les terres à de petits ou gros exploitants blancs, arme des navires pour la traite de Noirs qui seront payés en tabac par les exploitants Blancs (Jacques-Côté, 2017).

Cette effervescence s’organise surtout en Basse-Louisiane, notamment à La Nouvelle-Orléans fondée en 1718 et promulguée capitale de la Louisiane en 1722.

Ainsi, deux premiers navires remplis par 500 esclaves originaires de Guinée débarquent dans la colonie en 1719 (Leclerc, 2019). Entre 1720 et 1743, 24 navires français font le commerce triangulaire entre Lorient, les côtes africaines et la Louisiane, transportant 4700 hommes, femmes et enfants du Sénégal et du Mali (Diouf-Kamara, 1998); cela sans compter le trafic de contrebande en provenance des Antilles (Jacques-Côté, 2017). Des Blancs viennent également grossir les rangs de la colonie : en mars 1721, 200 Allemands y arrivent (Gayarré, 1846), ainsi que de nouveaux contingents de Filles de la Cassette dont la fertilité ne semble pas, cependant, avoir eu un impact probant sur la démographie (Pelletier Lewis, 2017).

L’augmentation rapide de la population entraîne des problèmes logistiques et alimentaires. Pour contrecarrer la famine qui survient à cause de la démographie, la culture du riz est envisagée sur les rives du Mississippi; elle donne ses fruits dès 1721 (Jacques-Côté, 2017). Il s’en suit « qu’on vendra les n….s aux habitants au prix de 660 livres (pièce d’Inde), pour le prix desquels ils fourniront leurs billets payables en trois ans par parties égales, en tabac ou en riz, suivant les conditions » (Gayarré, 1846, p. 184).

La colonie de plantation est dorénavant bien installée en Louisiane. Agriculture et esclavagisme en sont les deux mamelles qui marquent le point de départ de ce qui va être appelé, au cours du XXe siècle, « créolisation ». La créolisation culturelle historique est « un processus d’interaction et d’hybridation de traits culturels autochtones, déterritorialisés, reconfigurés, inventés et hérités en situation de variation écologique et en contexte plantationnaire » (L’Étang, 2019a).

TRAVAUX CITÉS

Benoist, J. (2012). La créolisation : locale ou mondiale? Dans G. L’Étang, De la créolisation culturelle (pp. 12-30). Paris: Éditions publibook. Consulté le Novembre 27, 2019, sur http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoist_jean/creolisation_locale_ou_mondiale/creolisation.html

Bonniol, J.-L. (2011). Les théories « anglo-saxonnes » de la créolisation culturelle. Extrait de : “De la créolisation culturelle” : Séminaire, les 14-15 février 2011. (CRILLASH, Éd.) Martinique: Université des Antilles et de la Guyane. Campus de Schoelcher. Service commun de la documentation. Consulté le Décembre 6, 2019, sur http://www.manioc.org/fichiers/HASH014a3e3386bf12a2708399e2

Bonniol, J.-L. (2013). Un miracle créole? (É. d. sociales., Éd.) L’Homme(207-208), pp. 7-15. Consulté le Novembre 29, 2019, sur http://lhomme.revues.org/24683

Diouf-Kamara, S. (1998, Mai-Juin). Des descendants d’Africains en Louisiane. Hommes et Migrations, Des Amériques noires(1213), pp. 22-29. Consulté le Novembre 29, 2019, sur https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1998_num_1213_1_3165

Gayarré, C. (1846). Histoire le la Louisiane (Vol. 1). Nouvelle-Orléans: Imprimé par Magne et Weisse. Consulté le Décembre 5, 2019, sur https://archive.org/details/histoiredelaloui01gaya

Jacques-Côté, A. (2017). L’Empire du riz en Louisiane française, 1717-1724. Études canadiennes / Canadian Studies, 139-162. Mis en ligne le 1 juin 2018. Consulté le Novembre 30, 2019, sur https://journals.openedition.org/eccs/896

Leclerc, J. (2019, Juin 6). La colonie française de la Louisiane. Consulté le Novembre 28, 2019, sur L’aménagement linguistique dans le monde: http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/Nlle-France-Louisiane.htm#3_La_colonie_louisianaise_

L’Étang, G. (2019a). La Créolisation culturelle historique : définition et variation écologique.

Ménil, A. (2009). La créolisation, un nouveau paradigme pour penser l’identité? Rue Descartes, 66(4), pp. 8-19. doi:10.3917/rdes.066.0008.

Pelletier Lewis, R. (2017, Mars 23). “Filles du roi et Filles de la cassette” : l’immigration féminine au Canada (1663-1673) et en Basse-Louisiane (1710-1730). Consulté le Décembre 3, 2019, sur Savoirs UdeS: https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/10256

Wagley, C. (1975). Une aire culturelle : l’Amérique des plantations. Dans J. Benoist, Les sociétés antillaises. Études anthropologiques (éd. 4e édition revue et augmentée, pp. 29-37). Montréal: Centre de recherches caraïbes. Consulté le Novembre 26, 2019, sur http://classiques.uqac.ca/contemporains/wagley_charles/wagley_charles.html

Illustration : Maison d’esclave. Image de JamesDeMers de Pixabay.

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