Le viaduc de Chaumont en Haute-Marne

Le viaduc de Chaumont en Haute-Marne

Pour la couverture du 1er tome de Julie des Quatre-Moulins, j’ai choisi de faire figurer une jolie reproduction de viaduc. Il s’agit du viaduc de Chaumont, en Haute-Marne, qui enjambe la vallée de la Suize et permet au rail d’accéder au plateau où est nichée la ville. Ville qui en a fait son emblème.

Les lecteurs de mon premier livre, Soleil sur la Persante, se souviennent que Marcel y a fait de nombreuses et inutiles patrouilles durant ce que les historiens ont appelé la drôle de guerre, ces mois d’inaction avant que ne soit déclenchée l’offensive dévastatrice allemande du printemps 1940. Plus tard, Julie a été attirée sur le trottoir de l’hôpital par le vacarme provoqué par l’explosion qui a emporté deux arches de cet ensemble monumental. L’occupant en déroute ne laissait que des ruines derrière lui. C’était le 31 août 1944.

Essayons d’en apprendre un peu plus sur ce remarquable ouvrage d’art ferroviaire qui a été officiellement inauguré le 14 avril 1857.

 

Chaumont veut son chemin de fer

Perchée sur son plateau aride, la ville est à l’abri des invasions. Les falaises, au nord, présentent des à-pics sur la vallée de la Marne et de la Suize qui lui donnent une position dominante et permettent de porter loin le regard. Et de se préparer contre tout assaut. La Suize a creusé une vallée profonde quand, après avoir contourné le plateau, elle va se jeter dans la Marne. Cette petite rivière, qui n’est qu’un méchant ruisseau souvent à sec en été, atout majeur un temps, est devenue un handicap sérieux quand l’ère industrielle a pris son essor. Le chemin de fer ne pouvait atteindre le chef-lieu.

La municipalité dut batailler ferme pour ne pas rester à l’écart du progrès.

Un premier projet, déposé en 1845, fut repoussé et quatre autres subirent successivement le même sort. Les difficultés techniques étaient telles qu’elles apparaissaient insurmontables. Le coût d’une pareille réalisation était trop élevé. Le sixième fut plus heureux; il fut accepté le 25 février 1855. C’était l’œuvre conjointe de l’ingénieur en chef Zeiller, de la compagnie des chemins de fer de l’Est, et du strasbourgeois Eugène Decomble, ingénieur ordinaire à la 3° section des chemins de fer à Saint-Dizier.

De la première pierre au viaduc

La pose de la première pierre eut lieu le 21 août 1855. Il fallut 18 mois pour édifier cette imposante construction cubant 60 000 m3 de maçonnerie, dont 3 337 m3 en pierre de taille. Le viaduc coûta 5 691 587 fr., somme énorme pour l’époque. Il fallut faire appel à une main-d’œuvre nombreuse (on compta jusqu’à 2 500 ouvriers et 300 chevaux) et avoir recours aux heures supplémentaires faites de nuit sous la lumière de projecteurs électriques.

Voici quelques chiffres glanés dans les mémoires du viaduc et qui amuseront les curieux des choses du passé : le mètre cube de moellons coûtait alors 76 fr. alors que le mètre cube de pierre de taille atteignait 187 fr. Un maçon était payé 8,09 fr. par jour, un charpentier 10,59 fr., un manœuvre 6,26 fr. … et un cheval avec son conducteur 13,46 fr.

On dit du viaduc qu’il est pyramidal. Il s’agit bien sûr d’une pyramide inversée. Situé entre la station de Villiers-le-Sec et la gare de Chaumont, il est à un seul étage pour les deux arches extrêmes; il est ensuite à deux étages pour 15 arches vers l’ouest et pour 6 arches vers l’est; les 25 arches centrales sont à trois étages. La longueur de chaque travée, mesurée entre les axes des piliers-culées qui les limitent, est de 5,75 m. Il mesure 600 mètres de long et le point le plus haut est situé à 50 mètres du fond de la vallée. Il présente trois étages. Le premier est un passage pour les piétons. Le deuxième est un passage technique où transitent tous les câbles. Le troisième porte la voie ferrée. Il est composé de 40 piles et de 9 piles-culées, ce qui correspond à 50 arches.

Il suffit d’une seule arche pour enjamber la Suize. Sous le viaduc passent la route nationale n° 65 de Neufchâteau à Ronny-sur-Loire et l’ancienne route de Villiers. C’est certainement d’en bas, des bords de la Suize, qu’on a la plus belle vue sur l’ouvrage et qu’il apparaît le mieux dans toute sa robustesse jointe à la plus élégante légèreté.

La liaison entre Paris (gare de l’Est) et Mulhouse, puis Bâle, était réalisée.

La solidité du viaduc est telle que, malgré les charges d’explosifs (de plusieurs tonnes), les Allemands ne purent faire sauter, le 31 août 1944, que 3 piles, soit 2 arches, coupant l’ouvrage sur 45 mètres. Il n’avait subi aucun dégât durant les guerres de 1870 et de 1914. Les arches furent reconstruites en béton et enrobées de pierre pour ne pas détruire l’harmonie de l’ensemble. Le 28 décembre 1944, il accessible sur un ouvrage provisoire à voie unique. Le 6 novembre 1945, le viaduc était rendu à la circulation, presque 89 ans jour pour jour après qu’il ait été franchi pour la première fois par une locomotive. C’est en effet le 25 novembre 1856 qu’il fut traversé, pour essai, par une première machine à vapeur.

Rappelons que l’inauguration officielle n’eut lieu que le 18 avril 1857.

L'inauguration

Pour la circonstance, trois trains ont été formés. Le premier n’était pas un convoi portant des drapeaux tricolores : il transportait à Chaumont, pour le plus grand plaisir des officiels, les deux plus prestigieux cuisiniers du moment et leurs équipes. Les deux convois suivants partirent de Paris, l’un à 6 h 45 et l’autre à 7 h 30 avec, à bord, chacun quelque 400 personnes : les administrateurs, les actionnaires et les journalistes.

Les voyageurs s’extasièrent d’abord sur les viaducs de Nogent-sur-Marne et de la Voulsie quand leur train les franchit. Mais leur émerveillement fut sans borne quand, arrivés en vue de Chaumont, de sa vieille église et de ses fortifications, ils découvrirent, jeté sur la profonde vallée de la Suize, ce « pont immense élevé sur des tours, reliées et soutenues par une double rangée d’arcs-boutants » ainsi que l’a décrit un journaliste de L’Illustration qui ajoutait :

L’aspect de ce prodigieux monument étonne l’imagination et je ne sais rien qui donne, de la puissance, du génie humain, une plus haute idée.

Les deux convois, qui s’étaient rejoints, s’arrêtèrent à l’entrée du viaduc pour permettre au curé de Chaumont de bénir les locomotives et l’ouvrage d’art. Il formula, en latin, les vœux suivants :

Que la mère en confiant son fils, l’époux son épouse à la vitesse de ces formidables coursiers de fer et de feu aient leur cœur libre de toute angoisse, qu’ils n’aient point de larmes à verser, que tout accident soit prévenu, que rien ne dévie sur ces lignes de fer…

La traversée du pont se fit à petite allure pour que chacun puisse admirer le fond de la vallée enjambée et le magnifique paysage alentour. Elle se fit sans encombre.

Il faut fêter cela!

Tout ce monde venu de Paris fut accueilli par les personnalités locales dans la rotonde des machines, au dépôt situé au-delà de la gare. Un succulent repas fut servi. Au dessert, on applaudit vigoureusement les discours du Curé, du Maire de Chaumont, de l’ingénieur Perdonnet, administrateur de la Compagnie de l’État, et enfin du Préfet de la Haute-Marne.

Un bal populaire, place de l’Hôtel-de-Ville, clôtura cette journée d’inauguration qui avait coûté à la ville de Chaumont la somme, fort coquette pour l’époque, de 3 000 francs or. Chaumont devait bien cette dépense aux pionniers du rail, la ville n’était plus isolée. Le maire lui-même à la fin du banquet avait clamé :

Le viaduc redira le talent des hommes qui l’ont conçu et exécuté et rappellera que c’est à la puissante Compagnie des Chemins de fer de l’Est que nous devons notre prospérité.

La ville de Chaumont a montré sa gratitude envers l’artisan principal de ce projet en donnant le nom de l’ingénieur Decomble à une rue riveraine du Chemin de fer.

Aujourd’hui, l’ouvrage bénéficie d’une valorisation par la lumière due au concepteur Jean-François Touchard. 2000 heures de travail ont été nécessaires pour poser 430 LED sur une longueur de 650 mètres et sur deux étages.

Le viaduc de Chaumont reste une curiosité à voir.

TRAVAUX CITÉS

Confidences recueillies auprès d’un vieux cheminot chaumontais ayant connu les machines à vapeur.

« Les plus beaux ponts de France » de Serge Montens (2001) Éditions Bonneton, Paris.

« Ponts de France » de Guy Grattesat et Auguste Arsac (1984) Presse Ponts et Chaussées, Paris.

« Ponts et viaducs au XIXe siècle » de Marcel Prade (1988).

Illustrations d’en tête et dans l’article : Photos de la collection personnelle d’un cheminot chaumontais, Claude S., avec son aimable autorisation.

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