Le français au Québec, de la Conquête au XIXe siècle : moment d’histoire brièvement relaté
La langue est un sujet de préoccupation de longue date au Québec et la préservation de la langue française, contre vents et marées (surtout contre l’anglais), est due à de fervents Canadiens français. En effet, la langue anglaise s’est imposée dans la société à partir de la Conquête ; déjà le régime militaire de 1760 annonçait la couleur, même si la supériorité numérique des Français incitait les Britanniques à demeurer conciliants pour quelque temps. En même temps, de fait, les relations avec la France ont été rompues, coupant les Canadiens français des apports et évolutions de leur métropole vaincue. Ainsi, lorsque les Québécois décident de reprendre en main leur destin linguistique, « ils se trouvent face à une double concurrence linguistique, concurrence externe entre le français et l’anglais et concurrence interne entre ce qu’est devenu le français au Québec et le français européen, de France » (Corbeil, 2007, p. 4).
La langue du conquérant : l'anglais
La concurrence externe du français est l’anglais, la langue du conquérant et de la minorité. Malgré qu’elle soit la langue de la minorité, la langue anglaise s’insère dans toutes les sphères de la nouvelle société et, surtout, dans les sphères de l’économie et du commerce ainsi que dans celles des évolutions technologiques, dès la Conquête. La société se transforme davantage encore à l’ère de l’industrialisation. D’un côté se trouvent les riches marchands anglais qui détiennent les grandes entreprises, les commerces et les banques. De l’autre se trouve le petit peuple. Ce petit peuple, ce sont les francophones, majoritairement issus des campagnes qui rejoignent la ville pour grossir les rangs des travailleurs laborieux ; c’est l’exode rural. Au milieu de ces classes sociales vaquent les ouvriers qualifiés anglophones qui détiennent le savoir technologique, savoir qu’on ne peut que nommer en anglais faute de mots français.
L'instabilité politique
En même temps, l’instabilité politique règne en ce XIXe siècle où les instances politiques souhaitent assimiler les Canadiens français en abolissant le français des assemblées et des délibérations, notamment au Parlement du Canada-Uni (aujourd’hui Québec et Ontario). L’article 41 en est l’exemple frappant, jusqu’à son abrogation en 1848. Cet article 41 de la Loi de l’Union décrétait que seule la langue anglaise était la langue officielle de la colonie. Puis, la responsabilité ministérielle obtenue en 1849 devait redonner une voix au peuple canadien-français par l’intermédiaire de ses parlementaires. Mais, c’est l’instabilité politique qui s’en est plutôt suivie. Lors de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, après des débats houleux sur le premier projet, le français et l’anglais deviennent obligatoires au niveau du fédéral et dans la province de Québec, Parlement et tribunaux. Au niveau fédéral, il s’agit davantage d’un compromis avec le Québec pour une stabilité politique plus que d’un réel engagement envers le bilinguisme et le biculturalisme. L’identité canadienne-française et sa langue demandaient cependant toujours à être défendues contre l’assimilation anglaise afin que le français ne disparaisse pas et ne se dénature pas.
L’article 41 de la Loi de l’Union condamne le français à une langue traduite sans valeur juridique.
Acte pour réunir les Provinces du Haut et du Bas-Canada,
et pour le Gouvernement du CanadaEt qu’il soit statué, que depuis et après la Réunion desdites deux Provinces, tous Brefs, Proclamations, Instruments pour mander et convoquer le Conseil législatif et l’Assemblée législative de la Province du Canada, et pour les proroger et les dissoudre, et tous les Brefs pour les élections et tous Brefs et Instruments publics quelconques ayant rapport au Conseil législatif et à l’Assemblée législative ou à aucun de ces corps, et tous Rapports à tels Brefs et Instruments, et tous journaux, entrées et procédés écrits ou imprimés, de toute nature, du Conseil législatif et de l’Assemblée législative, et d’aucun de ces corps respectivement, et tous procédés écrits ou imprimés et Rapports de Comités dudit Conseil législatif et de ladite Assemblée législative, respectivement, ne seront que dans la langue anglaise :
Pourvu toujours, que la présente disposition ne s’entendra pas empêcher que des copies traduites d’aucuns tels documents ne soient faites, mais aucune telle copie ne sera gardée parmi les Records (Archives) du Conseil législatif ou de l’Assemblée législative, ni ne sera censée avoir en aucun cas l’authenticité d’un Record (Archive) original.
Déclaration de l'Union. ARTICLE XLI. En quelle langue seront les Records de la Législature.
Une langue fragilisée
La langue française est donc très fragilisée au Québec au XIXe siècle, d’autant que la petite bourgeoisie francophone adopte l’anglais puisque c’est non seulement la langue de l’évolution technologique et de l’économie, mais aussi, et surtout, la langue de l’élite, de la mode et du bien-savoir-vivre. En effet, il faut parler anglais et suivre la mode anglaise en matière d’habillement et de décoration, en y associant les termes anglais adéquats. À cela s’ajoute que le progrès a rendu caduques les techniques artisanales traditionnelles et les techniques industrielles étaient dorénavant transmises uniquement en anglais. L’imprimerie a permis le déploiement des affiches commerciales qui, si elles étaient bilingues au début du XIXe siècle, sont rapidement devenues unilingues anglais. Le Québec s’est donc progressivement anglicisé et a vu une transformation de sa culture ; l’anglais marquant la langue du commerce, du travail, de l’agriculture. En outre, à cette époque, le français des Québécois a bien mauvaise presse. C’est que la concurrence du français est aussi interne.
Un français, oui, mais lequel?
Si les premiers colons étaient réputés parler un français des plus impeccables (en fonction de la norme parisienne) – c’est ce que rapportaient les visiteurs –, les choses changent avec la Conquête. Le français de France s’était développé de telle manière que le français du Québec en est devenu populaire, vieillot, farci d’anglicismes. Comble de tout, il est qualifié de patois. Ce français parlé, avec ses archaïsmes, ses néologismes et ses anglicismes, s’est bien éloigné de celui de France, la langue qui est valorisée. Ce constat entraîne un sentiment d’insécurité linguistique des intellectuels canadiens-français qui, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, prennent conscience de cette différence. À partir de 1840, les Canadiens français connaissent la honte linguistique (Loubier, 2007). Dès lors, des courants de description du français canadien apparaissent. Certains pédagogues québécois, dont Thomas Maguire, souhaitent une meilleure formation de la jeunesse canadienne en la basant sur l’apprentissage du français de France qui, pour eux, doit être la norme à considérer. Pour Maguire, qui était un enseignant du Petit Séminaire de Québec et qui a eu l’occasion de vivre quelque temps auprès de l’élite parisienne, la bonne prononciation est le socle indispensable de l’apprentissage. C’est ce à quoi il aspire pour la future élite canadienne. Des auteurs trouveront également dommageable, voire blâmable, que l’élite canadienne ne soigne pas sa prononciation ni ne fasse attention aux nombreux anglicismes et « locutions vicieuses » qu’elle utilise, ce qui la fait s’éloigner du français de France.
D’autres partisans, au contraire, veulent une norme adaptée au contexte nord-américain, légitimant le français du Canada, du moins, ne le condamnant pas. Ces partisans, dont l’abbé Demers, estiment que le français du Canada est différent, certes, mais qu’il doit être respecté ainsi, autant avec sa prononciation singulière (ce n’est pas un problème que celle-ci ne soit plus utilisée par l’élite française), qu’avec ses canadianismes puisqu’il y a des réalités canadiennes qui ne s’expliquent pas avec des mots de France. Mais, depuis ce temps, la guerre est déclarée aux anglicismes et même, parfois, aux québécismes.
L’histoire ne s’arrête bien sûr pas là, ni pour le Québec ni pour la langue française au Québec. Il y a encore énormément à dire sur le sujet. Comprenons néanmoins que la rupture avec la France, en 1763, a eu de lourdes conséquences.
TRAVAUX CITÉS
Corbeil, J.-C. (2007). Le rôle de la terminologie en aménagement linguistique : genèse et description de l’approche québécoise. (A. Colin, Éd.) Langages, 4(168), pp. 92-105.
Loubier, C. (2007). De l’usage de l’emprunt linguistique. Montréal : Office québécois de la langue française.
Poirier, Claude (2008). « 17. Une langue qui se définit dans l’adversité », dans M. Plourde et P. Georgeault (sous la dir.de), Le français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie, Montréal, Fides, p. 161-174
Vaugeois, Denis (2008). « II. Une langue sans statut », dans M. Plourde et P. Georgeault (sous la dir. de), Le français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie, Montréal, Fides, p. 109-121
Illustration : Gagnon, Bernard. (2013). La ville de Québec vue de la Terrasse de Lévis. Récupéré sur https://commons.wikimedia.org
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