L’Aguilâneu était encore très populaire, il y a vingt ans, dans le pays de Caux (Seine Inférieure). Parmi les dix formules que nous avons dans notre portefeuille la plus répandue était celle-ci :
Dans ce dernier jour de l’an.
Je viens vous voir, Madame,
C’est, dans ces derniers jours.
Que chacun vous réclame.
Donnez, donnez, Madame,
Mes Haguignettes,
Si vous voulez,
Selon vos libéralités.
Dans la Touraine, auprès de Loches, les chanteurs ne se contentent point de solliciter des œufs des noix, et du lard. Quand « les maîtres de céans » se montrent sourds à leurs plaintes, les quêteurs les prient de leur accorder du moins une place à la cheminée :
Si vous voulez rien nous donner,
Ne nous faites pas attendre,
Car j’ai bien grand froid aux pieds,
Et mon camarade tremble;
Mettez donc un fagot au feu,
Pour réchauffer le Guillaneu.
Passons maintenant dans l’Aunis. Là, le ton de la vieille mélodie décembre est à la fois obséquieux et narquois :
Messieurs et mesdames,
De cette maison,
Ouvrez-nous la porte,
Nous vous saluerons;
Notre Guilâneu,
Nous vous le demandons.
Guiettez dans la nappe,
Guiettez tout au long;
Donnez-nous la miche,
Et gardez le grison[1].[1] Pain noir. Voir les Poésies populaires de Bujeaud.
Dans le Poitou, même accent :
J’somm’ de pauvres gens,
Bonnes gens!
Qui ne sont guère riches;
J’cherchons de l’argent,
Bonnes gens!
Pour nourrir nos familles.
Faites-nous la charité;
Donnez-nous un sou marqué.
Si les sous marqués manquant,
Donnez-nous de l’argent blanc.
Les Guilaneux du Limousin et du Midi sont moins burlesques. La chanson limousine rappelle la manière des troubadours. « Arrivés! nous sommes arrivés! » s’écrient les chanteurs devant chaque porte :
Ribas, ribas,
Sount aribas,
La Guillanou lour faut douna,
Gentil seignour!
La Guillanou lour faut douna,
Aux coumpaignons[1].[1] Arrivés, sont arrivés, la Guilàneu leur faut donner, Gentil seigneur,.. La Guilàneu leur faut donner Aux compagnons!
Une fois qu’ils ont obtenu leur guilâneu, c’est-à-dire des châtaignes sèches et des châtaignes vertes bouillies (daun jaqueix, de las boursadas), les ménestrels limousins forment des vœux pour leur bienfaiteur, puis pour le bouvier « afin qu’il entretienne le blé au grenier », sans oublier le porcher « qui fournit de lard le charnier. »
Dans le Périgord, la veille du jour de l’an, lorsque la nuit approche, tous les enfants jusqu’à l’âge de quatorze ans environ, s’en vont par bandes de trois à quatre, à travers les villages et chantent la Guillaneou devant la porte des métayers aisés. On leur distribue des noix, des pommes et quelques sous, puis la bande joyeuse court donner la même sérénade ailleurs. Quand ils sont contents, les gamins crient : « Adieu, vaillant seigneur! »
Ne reçoivent-ils rien? ils s’écrient : Al fouirous!
Voici le début de la complainte :
Nous sommo aïci tard arribés,
Devant le porto d’un chibalier (chevalier);
Le Guillanou, nous fal douné,
Vaillant seignour,
Le Guillanou, donnez-la-nous
Aous coumpaigons.
Ce prélude n’a-t-il pas quelque chose de féodal?
M. Bladé nous apprend, dans une curieuse note de ses Poésies populaires, que l’usage de la « Guilhanné » est encore très vivant en Gascogne. Pendant l’Avent, nous assure M. Bladé, la jeunesse de la campagne s’assemble pour aller chanter, de nuit, la chanson spéciale de la Guilhanné. On lui donne, en récompense, des œufs, de la farine ou un peu d’argent. Les Aguilhonnés ou les Guilhonnés prélèvent généralement sur leur recette, de quoi offrir, un pain bénit à la paroisse, la nuit de Noël.
Dans l’Agenais, les quêteurs chantent ce qui suit :
Nous sommes vingt-cinq ou trente.
Le Guillhonné, je vous demande,
Vingt-cinq ou trente chevaliers.
Le Guillhonné, Madame,
Il nous le faut donner.
Guilâneu
Bèno lèu[1].[1] Ces deux mots signifient : Guilhoné, viens bientôt. Bladé, p. 62.
D’après Clavel, les jeunes paysans du Bordelais, avant de chanter la Guilanée vont, dans les bois couper des branches de chêne avec lesquelles ils se tressent des couronnes.
(…)
Les couplets chantés par les Ignoleux canadiens ont beaucoup d’affinité avec ceux des trouvères saintongeois.
La Basse-Bretagne ne pouvait naturellement rester étrangère à une coutume aussi vénérable. Nous ne sommes donc pas étonnés de lire, dans le Barzas Breiz, de M. de la Villemarqué, que la « tournée de l’aguilaneuf » a été toujours florissante dans le Finistère et le Morbihan. « Dès le lendemain de Noël, dit l’éminent celtiste, les pauvres vont par bandes, de village en village, précédés par un vieux cheval, orné de rubans et de lauriers, pour chercher leurs étrennes. Ils les demandent dans un chant dont le thème ne varie guère, mais que les chanteurs modifient au gré de leur inspiration. Faisant halte devant chaque porte un peu riche, le chef de la troupe entreprend, avec un des habitants de la maison, une joyeuse lutte vocale, qui se termine toujours, après une longue résistance, à son plus grand profit. » Voici quelques extraits d’un dialogue recueilli par le vicomte Hersart de la Villemarqué, de la bouche d’un montagnard de l’Arrez.
In nomine Patris et Filii! Dieu vous bénisse en cette maison!
Éginane! éginane! (Des étrennes! des étrennes!)
C’est, celle-ci, est une maison belle et haute! et comme on la voit de loin!
Éginane! éginane!
— Nous sommes venus à votre porte chercher de la viande pour tromper l’eau.
— Vous êtes arrivés de bien lionne heure, le porc est encore sur pieds.— Nous sommes dix-huit bons gaillards; nous le tiendrons pendant qu’on le saignera.
— Mon chien dort au tas de paille; allez le tuer, vils bouchers!
Enfin, après une longue résistance, la Guilâneu est donnée. Aussitôt, les quêteurs chantent :
— Poussons un cri de joie, maintenant que nous avons reçu notre étrenne!
Nous avons reçu du lard d’un pied de long et, en sus, du seigle et de l’avoine.
Un cri de joie en l’honneur du père de la mère, et des enfants de la famille!
Que vos garçons respirent la santé; que vos filles sentent la lavande!
Dans votre courtil, du chanvre gai, lorsque viendra le mois de mai!
En mai, la fleur; en juin, le grain, et, en juillet, la galette blanche!
En juillet, la galette blanche, et nous, alors, à votre service!
À l’Ile Dieu, et dans la Vendée, le chant de la Guilaneu a, s’il est possible, un accent encore plus religieux. C’est une sorte de cantique semblable à celui de la Passion. Nous avons recueilli une cantilène analogue près de Pontorson.
Mais si l’on veut bien se rendre compte de l’influence bienfaisante que l’Église a exercée sur un rite d’origine évidemment païenne, il faut aller à Candé (Maine-et-Loire).
Il paraît qu’autrefois la fête du 31 décembre provoquait dans l’Anjou de graves désordres. Les Guilaneux se livraient à de telles débauches que plusieurs conciles et des évêques se virent obligés d’interdire la quête, sous peine d’excommunication. Désireux de maintenir une coutume à laquelle leurs paroissiens étaient fortement attachés, un certain nombre de curés demandèrent et obtinrent la permission de diriger eux-mêmes la tournée. Sous cette nouvelle forme, la Guilâneu devint une sorte de procession religieuse. C’est, là, du reste, ce qu’on peut encore constater à Candé, où le curé préside lui-même la cérémonie. Accompagné de plusieurs marguilliers et précédé du sacristain qui porte, d’une main,
un bâton orné de fleurs et de rubans, et, de l’autre, un sac destiné à recevoir les offrandes, le vénérable pasteur ou son vicaire, va non seulement dans la paroisse, mais dans toutes les paroisses du canton, chanter, aux portes des principales fermes, les couplets que voici :
De Candé nous sommes,
Tous honnêtes gens;
Faites vos offrandes,
Aussi vos présents.
Vous ne sauriez davantage
Faire voir que vous aimez Dieu,
Qu’en lui rendant vos hommages.En donnant la Guilâneu.
J’f’rons faire un cierge,
De tous vos présents,
Devant la Bonne Vierge
Des Agonisants.
Si vous y venez,
Vous voirez (sic) comme il flambe,
Si vous y venez,
Vous le voirez flamber.
Aussitôt que les quêteurs sont signalés, il est d’usage, ou plutôt il était autrefois d’usage de former la porte. L’huis des fermes ne s’ouvrait qu’après le chant du dernier vers. Les pèlerins étaient alors introduits dans la principale pièce, où les attendait une table confortablement servie. Aujourd’hui la porte s’ouvre aussitôt que les pèlerins se montrent. Après les avoir restaurés, les maîtres leur donnent une foule d’objets aussi variés qu’originaux. Tous ces dons sont exposés le 1er janvier suivant à la porte de l’église et mis aux enchères. Le produit de la vente sert à l’entretien du luminaire de la chapelle. Voici les couplets que disent les quêteurs en prenant congé des fermiers :
Or, adieu, donc, maître et maîtresse,
De tous vos dons
J’vous remercions;
J’prierons la Vierge Marie
Qu’elle vous mette sous sa protection.
N’est-ce pas là un touchant usage et les curés de Candé n’ont-ils pas eu raison de le conserver?
TEXTE ENTIÈREMENT REPRIS DE :
Havard, Oscar. (1883). L’aguilaneuf dans La Semaine des familles : revue universelle illustrée. Paris : Édition du 17 février 1883. Pp 744-746. Bibliothèque nationale de France. Version numérique. ark:/12148/bpt6k5514070c
Illustration : Auteur inconnu (XVIIIe siècle). Gibet – Fourches patibulaires – Aquarelle du XVIII°. Récupéré sur https://commons.wikimedia.org
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