On se plaint parfois, souvent, de devoir respecter un grand nombre de règlements ou de lois, de devoir se plier à toutes sortes de contraintes qui briment nos libertés individuelles. Force est de constater que cela ne date pas d’hier. Des règles, de tout temps il y en a eu. Par exemple, il était interdit de travailler le samedi après les vêpres (office du soir) partout en France au début du XIVe siècle. Un contrevenant courait le risque de devoir payer 5 sous à l’église pour l’entretien des luminaires ou de devoir faire procession en chemise et en caleçon pendant 5 dimanches consécutifs, avec au cou l’instrument dont il s’était servi pour travailler. Cette anecdote est tirée du livre du docteur Ange Guépin, Histoire de Nantes (1839). Et nous y avons relevé d’autres règles que nous vous partageons aujourd’hui. Avec le recul, nous pourrions les juger loufoques, exagérées ou incroyables. Gardons-nous-en. C’est une question de contexte. Et les habitants de ces époques-là n’avaient d’autre choix que de les respecter, car la police y veillait.
Au XIVe siècle
Une ordonnance de 1336 interdisait aux pêcheurs de vendre leur poisson autrement qu’à la cohue, tandis que les marchands de volailles ne pouvaient offrir leur marchandise que sur la place de la Prévôté. Les revendeurs ne pouvaient faire leurs achats qu’une fois l’heure de prime (office de la première heure du jour) sonnée à l’église de Saint-Pierre. Et la journée de travail des ouvriers s’étendait du lever du soleil à son coucher.
Vers la fin du XIVe siècle (1380), les chefs de famille couraient le risque d’être excommuniés ou de recevoir une amende d’une demi-livre de cire s’ils n’envoyaient pas au moins une personne de leur foyer à la messe principale des dimanches et des fêtes. Les mariages se célébraient à l’église paroissiale et après le lever du soleil. La première messe du dimanche était la grande ; aucun étranger n’y était admis à moins qu’il n’ait été un voyageur. Les curés ne pouvaient s’absenter plus d’une journée de leur paroisse sous peine de recevoir une amende de 40 livres.
Au XVIe siècle
Contrevenir aux règles suivantes entraîne des amendes ou des punitions corporelles en cas de récidive. Il est interdit :
- De jurer ou de blasphémer dans les cabarets ;
- De vendre de la boisson ou des repas durant les fêtes, les dimanches ou l’heure des offices ;
- De jouer aux jeux de hasard tels les dés ou les cartes pour le bas peuple (seuls les nobles et les riches bourgeois y sont autorisés).
Depuis 1581, il est interdit aux artisans de boire des vins étrangers et de manger du gibier.
1583 : règlement contre la peste
Chaque habitant devait balayer son pavé sous peine d’amende. Des latrines, à vidanger entre 10 h du soir et 2 h du matin, toutes les nuits, ont été installées dans toutes les maisons qui en manquaient. Pour neutraliser les odeurs, les maisons étaient parfumées avec de l’encens. Trois fois par semaine, un feu public était allumé et chacun devait y contribuer en fournissant un fagot de bois sec sous peine d’amende de 5 sous.
Les malades et les convalescents devaient être habillés de bougran (étoffe de lin) avec une croix blanche sur la poitrine et une autre sur le dos. Ils devaient également porter une baguette blanche à la main. Les domestiques devaient aussi porter cette baguette blanche avec une cloche au bout pour avertir les personnes saines de leur passage. Les malades étaient transportés à l’hospice de nuit et par les ruelles. Les convalescents qui se présentaient en public avant 40 jours étaient fouettés ou devaient payer 10 écus d’amende.
Règlement de 1594
En 1594, un nouveau règlement rédigé par l’un des présidents du parlement aidé d’un conseiller de la cour vient s’ajouter aux nombreuses obligations existantes. Ainsi, ce nouveau règlement permet à la police de contrôler le salaire que reçoivent les ouvriers ; ceux-ci étant obligés de s’y soumettre sous peine d’amende ou de punitions corporelles. Il octroie également à la police le pouvoir de regrouper les ouvriers en fonction de leur profession en leur interdisant d’en sortir. Ainsi, les enfants ont de choix que de suivre les traces de leur père, qu’ils en aient l’envie ou la capacité, « soudés à la profession comme le galérien à son boulet » (Guépin & Hawke, 1839, p. 268).
Concernant les salaires et d’autres coûts dorénavant règlementés, voilà ce qu’il en résulte :
- Maçons et charpentiers : 10 sous par jour ;
- Manœuvres : 8 sous pour une journée ;
- Une course avec une voiture de deux chevaux, depuis le port jusqu’au milieu de la ville : 2 à 3 sous ;
- Coût pour un homme et un cheval à l’auberge : 45 sous par jour, ce qui comprend des mets de choix et des vins dont certains étrangers pour l’homme et 5 mesures d’avoine pour le cheval ;
- Dînée seule : 18 sous ;
- Soupée et couchée : 27 sous ;
- Surplus pour le domestique : 7 sous 6 deniers par jour dont 3 sous pour la dînée, 3 sous et 6 deniers pour la soupée et la couchée ;
- Table d’hôte pour un piéton : 30 sous par jour dont 13 sous pour la dînée, 17 sous pour la soupée et la couchée ;
Le règlement stipule également que les bouchers et boulangers doivent être approvisionnés pour 3 mois. Les boulangers doivent toujours avoir dans leur grenier au moins 30 setiers[1] de farine de froment et de seigle. Ils ne doivent pas vendre à faux poids ou livrer du mauvais pain. Les bouchers ne peuvent vendre que de la viande fraîche sous peine d’être fouettés lors de leur première infraction et, pour la seconde, d’être pendus.
[1] Selon le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) : Ancienne mesure de capacité, de valeur variable suivant les époques et les régions. Mesure de capacité pour les grains et les matières sèches variant entre 150 et 300 litres environ. Setier d’avoine, de blé, de grains. Le setier de blé à Paris était de douze boisseaux et devait peser deux cent quarante livres.
Le règlement de 1594 rehausse les taxes sur les produits d’importation :
Les souliers de maroquin de Flandre ou d’Espagne à deux semelles, de 9, 10, 11 et 12 points, ne devaient pas se vendre plus de 32 sous ; les souliers à trois semelles et les souliers liégés étaient taxés à 40 sous ; la paire de mules et la paire d’escarpins se vendaient 48 sous ; les souliers de veau à deux semelles n’allaient qu’à 24 sous ; les bottes de vache grasse de deux pieds et demi de hauteur, et à trois semelles, étaient tarifées de deux écus. L’ordonnance enjoignait aux cordonniers de faire chaussure de cuir loyal, marchand bien accoustré et couroyé .
Guépin et Hawke, 1839, p. 269
Comment connaître les nouveaux règlements?
Au Moyen-âge, la loi était proclamée oralement. L’annonce était faite devant l’hôtel de ville ou à l’église paroissiale dans les villages. Elle était précédée d’une sonnerie de trompe, de cor ou de trompette. Au XVe siècle, la publication par affichage est exceptionnelle. Au XVIe siècle, l’affichage demeure rare et s’avère être un outil complémentaire à l’annonce orale.
TRAVAUX CITÉS
Bruyère, P. (2007). Un mode singulier d’affichage des lois et des coutumes au Moyen Âge : La traille de la cathédrale Saint-Lambert de Liège. Le Moyen Âge, CXIII, 273-308. https://doi.org/10.3917/rma.132.0273
Guépin, A., & Hawke, p. (1839). Histoire de Nantes (éd. 2e). Nantes : Prosper Sebire, libraire ; C. Mellinet, imprimeur.
Illustrations : Dessins de Hawke dans Guépin et Hawke (1839).
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